Nous remercions le Professeur Raphaël Gaillard et le Docteur Marc Masson, rédacteurs-en-chef de l’Encéphale, qui ont accepté notre proposition d’articles consacrés à la pandémie du COVID-19 et à son impact en psychiatrie. Ce partenariat avec la revue et la plateforme Encéphale online va permettre une très large diffusion des articles, qui seront rassemblés dans un numéro spécial «COVID-19 et Psychiatrie». Ce premier article a donné lieu à une tribune parue dans Le Parisien, signée par une centaone de professionnels et d’acteurs associatifs.
La pandémie de Covid-19 et la rapidité de sa propagation ont révélé les fragilités comme les faiblesses de notre système sanitaire. La psychiatrie, discipline sous tension depuis de nombreuses années, a été particulièrement frappée. Oubliée des plans d’urgence ministériels, elle a dû faire face en un temps record et adapter ses pratiques pour préserver la continuité des soins et inventer de nouvelles formes d’hospitalisations pour répondre aux missions liées au Covid: maintenir la prise en charge des patients tou en respectant le confinement.
En s’appuyant sur la littérature internationale et les premiers retours d’expériences en France comme à l’étranger, les auteurs passent en revue les nombreux enjeux de la prise en charge de la santé mentale pendant l’épidémie à SARS-CoV-2 et pour préparer l’avenir.
Covid-19 : la psychiatrie et ses usagers sont vulnérables face à la pandémie
Les données de la littérature et les retours d’expérience font craindre une perte de chance pour les personnes présentant un trouble psychiatrique et affectées par le Covid-19. Plusieurs facteurs de vulnérabilité sont avancés, qui tiennent à la vulnérabilité individuelle des usagers de la psychiatrie d’une part et à la vulnérabilité de l’organisation des soins en psychiatrie.
En effet, différents travaux ont montré que les patients psychiatriques se défendent moins bien face aux infections et présentent un risque accru de développer des troubles somatiques (maladies cardiovasculaires et respiratoires, diabète, obésité…) dont on sait qu’ils constituent un facteur de risque d’être atteint de formes graves du Covid-19. Par ailleurs, ils peuvent rencontrer des difficultés cognitives susceptibles de rendre plus difficile le respect des « mesures barrières » ou de confinement. Enfin, le grand isolement de ces patients et la stigmatisation dont souffre un grand nombre d’entre eux font craindre un retard dans l’accès aux soins.
De premières observations alertent également sur l’existence de formes spécifiques de Covid-19 associées à des symptômes psychiatriques. Ainsi, plusieurs patients français présentant un état de confusion (pouvant faire penser à une décompensation psychiatrique) associé à une forte fièvre ont finalement été diagnostiqués Covid-19. Ces premières observations suggèrent une atteinte possible du système nerveux central.
D’un point de vue structurel, l’allocation d’un grand nombre de moyens sanitaires pour faire face à l’épidémie de Covid et la définition de plans d’urgence sans prise en compte de la psychiatrie placent la discipline en difficulté pour répondre aux enjeux de la prise en charge des patients. Hôpitaux psychiatriques sur-occupés, isolés et sans plateaux techniques, personnels soignants peu entraînés à la prise en charge d’épisodes infectieux, sorties d’hospitalisation prématurées sont autant de défis à relever pour assurer la continuité des soins et la bonne prise en charge des patients.
Mobilisation, adaptation et innovation : comment la psychiatrie française fait face
Les soignants ont su s’organiser et adapter leurs pratiques en un temps record pour assurer la permanence des soins et créer les conditions d’une prise en charge optimale des patients psychiatriques infectés.
Plusieurs initiatives ont ainsi été prises. Dans de nombreux hôpitaux, des unités dédiées à la prise en charge de patients psychiatriques présentant une infection au Covid-19 ont été créées. Elles s’appuient sur des équipes pluridisciplinaires (psychiatres, généralistes, pharmaciens) et sur l’établissement de protocoles spécifiques pour proposer des soins de qualité en toute sécurité.
Le recours aux téléconsultations a également été important, afin de permettre le suivi en ambulatoire des patients, notamment ceux dont la sortie de l’hôpital a dû être anticipée. Ces modalités d’accompagnement à distance ont pour but d’éviter les décompensations psychiatriques, prévenir le risque suicidaire et limiter le risque de rupture de soin. Dans certains cas, des unités d’intervention au domicile ont été créées dans les cas d’urgence ou de semi-urgence.
Le rôle de la psychiatrie libérale s’avère enfin central, tant pour le suivi des patients que pour faire face à l’émergence des stress et troubles anxieux au sein de la population générale confrontée à la pandémie et au confinement. Pour répondre à cet enjeu, de nombreuses sociétés savantes ont édicté des recommandations ou des outils d’éducation thérapeutique afin d’accompagner au mieux les personnes.
L’après-Covid : préparer l’avenir
Nous disposons de peu de données de la littérature permettant de prédire les conséquences psychiques de la pandémie sur la population et il est fort probable que ces dernières dépendront de facteurs de vulnérabilité individuelle, mais également de la durée du confinement, de l’accès aux soins, de l’entourage.
Quelques travaux nous alertent cependant sur l’apparition de symptômes de stress post-traumatique et de l’émergence de troubles anxieux ou de l’humeur chez des personnes qui n’avaient jamais été suivies en psychiatrie auparavant. Dès lors, les auteurs en appellent à la vigilance et prônent le développement d’outils de téléconsultations ou de guides d’auto-soin afin de prévenir autant que possible la survenue ultérieure de troubles psychiatriques caractérisés.
Si la psychiatrie a su s’adapter et inventer de nouvelles modalités de suivi, les défis posés par la crise du Covid-19 ne pourront toutefois pas être relevés sans une juste prise en compte de la psychiatrie dans les politiques publiques, sans moyens spécifiques alloués aux réorganisations demandées et sans outils de veille épidémiologique ou pharmacologique.
Pour proposer des soins de qualité à tous, il est indispensable de tirer les enseignements de cette crise et d’intégrer la psychiatrie au concert des autres disciplines médicales.
Chevance A, Gourion D, Hoertel N, Llorca P-M, Thomas P, Bocher R, Moro M-R, Laprévote V, Benyamina A, Fossati P, Masson M, Leaune E, Leboyer M, Gaillard R.
Assurer les soins aux patients souffrant de troubles psychiques en France pendant l’épidémie à SARS-CoV-2. Encephale 2020.