Marion Leboyer et Lucile Capuron lors de la remise du prix 2018
Dépression résistante : et si nous traquions l’inflammation ?
La dépression est la maladie psychiatrique la plus fréquente et son pronostic peut être sévère. Dans un tiers des cas, les patients ne répondent pas aux traitements, ce qui peut entraîner une évolution chronique et des complications (risques de rechutes, troubles de l’attention, de la mémoire, risque de suicide, problèmes cardiovasculaires). Comprendre les facteurs de cette résistance aux traitements antidépresseurs et identifier de nouvelles stratégies thérapeutiques sont donc des enjeux de tout premier ordre.
C’est ce à quoi travaille le Dr Lucile Capuron, directrice de recherche à l’INRA, lauréate 2018 du 7ème Prix Marcel Dassault (et première femme à recevoir ce prix). Elle s’intéresse plus particulièrement au rôle de l’inflammation dans certaines formes de dépression et se propose d’en éclairer les mécanismes d’action en étudiant deux voies enzymatiques impliquées dans le métabolisme de deux neurotransmetteurs : la sérotonine et la dopamine.
Dr Lucile Capuron, au croisement de la psychologie, de la neurobiologie et de la psychiatrie
La docteure Lucile Capuron est directrice de recherche à l’INRA de Bordeaux, où elle dirige l’équipe de recherche Nutrition et psycho-neuroimmunologie : approches cliniques et expérimentales, et Professeure-assistante associée au département de psychiatrie et de sciences du comportement de l’Université de Médecine Emory, Atlanta, États-Unis. Psychologue de formation, son insatiable curiosité depuis son enfance la conduit à s’orienter rapidement, au cours de son parcours universitaire, vers la recherche.
La dépression résistante est-elle une maladie inflammatoire ?
La dépression est une maladie très fréquente qui touche 16% à 17% des individus au cours de leur vie. Si les traitements de la dépression associant antidépresseurs et psychothérapies sont aujourd’hui bien codifiés, ils s’avèrent pourtant totalement inefficaces pour un tiers des patients.
Des travaux de recherche ont ouvert un champ nouveau de compréhension en démontrant que derrière « la » dépression se cachent en réalité plusieurs types de dépression. Ils ont également confirmé qu’une inflammation chronique de faible intensité et difficile à détecter jouerait un rôle dans le développement de certaines formes de dépression et dans la mauvaise réponse aux traitements.
Ces résultats ont remis en cause une croyance établie selon laquelle le cerveau serait protégé des réactions inflammatoires d’origine périphérique par la barrière hémato-encéphalique. Ils ont notamment démontré que les désordres biologiques provoqués par les mécanismes inflammatoires au niveau cérébral peuvent, lorsqu’ils se prolongent ou persistent (comme c’est le cas lors d’une inflammation chronique), conduire à des symptômes dépressifs et à des résistances aux antidépresseurs. Ces observations ont été confirmées par des études démontrant qu’un taux élevé de cytokines inflammatoires dans le sang est associé à une moins bonne réponse clinique aux thérapeutiques standards.
Comment contrecarrer les effets des cytokines inflammatoires dans le cerveau?
Les cytokines agissent sur des voies enzymatiques, notamment la voie de l’indoléamine-2,3-dioxygénase [IDO] et la voie de la tétrahydrobioptérine [BH4], qu’elles stimulent ou désorganisent. Or, ces voies sont impliquées dans le métabolisme de la sérotonine et de la dopamine, deux neurotransmetteurs responsables de la régulation de l’humeur et cibles des médicaments antidépresseurs.
C’est précisément l’activité de ces deux voies IDO et BH4 que le Dr Lucile Capuron a choisi d’observer chez 50 patients adultes souffrant de dépression résistante et recrutés en fonction de leur statut inflammatoire (inflammés versus non-inflammés) et 20 sujets contrôles. Mené en collaboration avec le CERPAD hébergeant le Centre Expert FondaMental dépression résistante, son projet de recherche s’appuiera sur l’examen clinique et biologique des patients. Il étudiera, grâce à des prélèvements sanguins, les liens d’IDO et de BH4 avec l’inflammation périphérique et déterminera, par des examens d’imagerie cérébrale, l’impact de l’altération de ces voies par l’inflammation sur la neurotransmission sérotoninergique et dopaminergique et sur la symptomatologie clinique chez les mêmes patients.
En parallèle, elle conduira des travaux en préclinique sur des modèles animaux, pour valider l’implication causale des voies enzymatiques IDO et BH4 dans les effets observés et identifier de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Ces travaux devraient considérablement améliorer notre compréhension des mécanismes responsables de la dépression survenant dans un contexte inflammatoire.
Sera-t-il bientôt possible de détecter par un simple bilan sanguin les signes d’une inflammation de bas grade chez les personnes consultant pour une dépression ? Et pourra-t-on envisager un traitement pour faire diminuer l’inflammation en utilisant des anti-inflammatoires ou des anticorps monoclonaux anti-cytokines et des inhibiteurs de cytokines (ou de leurs effets) déjà disponibles sur le marché pour d’autres indications ? C’est l’objectif que nous poursuivons avec ce projet, lauréat 2018 du Prix Marcel Dassault, qui fait entrer de plain-pied la dépression résistante dans l’ère de la médecine de précision.
Détecter et traiter l’inflammation ou contrecarrer ses effets dans la dépression représenterait une révolution pour près d’un million de malades.
Dr Lucile Capuron