« Les troubles mentaux sont des maladies comme les autres, avec une composante immunologique et une inflammation »
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« Les troubles mentaux sont des maladies comme les autres, avec une composante immunologique et une inflammation »

Publié le 15 novembre 2022

Interview avec le Dr Ryad Tamouza, immunologiste. 

Dr. Ryad Tamouza, vous êtes immunologiste. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la psychiatrie ?  

Ce qui a décidé de ce nouveau tournant dans ma carrière, c’est ma rencontre avec Marion Leboyer au retour d’une mission en Inde en 2009. Elle avait une vision de la psychiatrie holistique très avancée pour l’époque. Elle cherchait un immunologiste qui soit prêt à l’accompagner dans la voie de l’immunologie dans ses travaux. Je m’étais intéressé aux pathologies en relation avec le cerveau, et elle décrivait des symptômes cliniques qui étaient très parlants pour moi en termes de traduction biologique et immunologique. Trois mois après, nous avions notre premier financement de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) et l’aventure était lancée. 

Les troubles mentaux sont-ils des maladies comme les autres ? 

Tout à fait, il s’agit de maladies systémiques. On ne peut pas séparer le cerveau du reste du corps, que ce soit dans le fonctionnement normal du corps humain ou dans les pathologies. De même, pour la prise en charge, il faut traiter ce qui se passe dans le cerveau et dans le corps. On a longtemps pensé que le cerveau était « immuno-privilégié ». L’explication avancée était qu’il existait une barrière physique qui empêcherait le contact avec les structures somatiques et leurs produis. En réalité, entre le système immunitaire et le cerveau, les fluides circulent dans les deux sens, c’est pourquoi toute approche des maladies psychiatriques doit être globale. Ainsi, même si les symptômes psychiatriques sont les signes les plus apparents chez un patient, souffrant de schizophrénie par exemple, il ne faut pas oublier que la première cause de décès de ces patients sont les troubles cardio-vasculaires. 

Qu’est-ce que l’immuno-psychiatrie ? 

L’immuno-psychiatrie est l’étude ou l’analyse de la composante immunologique des troubles psychiatriques. Au départ, nous avons étudié les pathologies les plus courantes, fréquentes et visibles, telles que les troubles bipolaires ou les schizophrénies. Aujourd’hui, notre champ d’études porte sur l’ensemble des pathologies psychiatriques, de la bipolarité aux troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) en passant par l’autisme et la dépression. Près de 40% de ces pathologies ont une composante dysimmunitaire immunologique, qui touche les patients à des degrés divers. Les comorbidités somatiques permettent de repérer des dérèglements immunitaires sous-jacents ; à partir de l’observation de ces symptômes, on essaie de relier ce que l’on voit avec des marqueurs inflammatoires. 

Quelles sont les causes de ces inflammations ? Des virus, des facteurs environnementaux ? 

A l’heure actuelle, nous avons des pistes solides et pour répondre à cette question, il nous faut continuer à mener des études épidémiologiques sur le long terme. En Europe du Nord, les chercheurs peuvent déjà travailler sur des cohortes très importantes, car ils tiennent des registres très complets, avec des données cliniques et biologiques, depuis 30 à 40 ans. Cela leur permet de faire des études rétrospectives sur les liens entre les troubles psychiatriques, qui surviennent généralement chez l’adolescent ou le jeune adulte, et des infections survenues au cours de la grossesse ou dans la petite enfance. Ils ont également pu établir des liens entre ces troubles et des facteurs environnementaux comme la maltraitance infantile. 

En France, et plus particulièrement en ce qui nous concerne, nous travaillons sur les liens entre pathogènes (virus, parasites…) et les maladies psychiatriques grâce à la constitution et au suivi de cohortes de patients. En particulier, nous, comme les équipes internationales qui travaillent sur les mêmes pistes, avons démontré une association entre l’infection par la toxoplasmose et deux maladies psychiatriques : la schizophrénie et la bipolarité. Le Covid nous a également montré les liens entre infections et survenue de maladies mentales, ou encore le lien entre maladies mentales préexistantes et sévérité de l’infection aigue par la Covid.  Le stress infantile ou encore la pollution sont également des facteurs de risque : il s’agit là d’interactions entre des gènes de susceptibilité et l’environnement. La présence de facteurs de stress au moment où le cerveau de l’enfant n’est pas entièrement développé peut prédisposer à la survenue ultérieure des troubles psychiatriques. Il existe des fenêtres neuro-développementales critiques ou tout facteur stressant peut induire des détériorations au niveau du système nerveux central qui peuvent, surtout en cas d’évènements stressants répétés (maltraitance, infections, cannabis…), mener au déclenchement de la pathologie psychiatrique. C’est le modèle de la sommation d’évènements stressants ou multi-hit model.

Une susceptibilité accrue au niveau génétique peut amener une mauvaise défense face aux facteurs environnementaux. Cette mauvaise réponse immunitaire persiste dans l’organisme sous la forme d’une inflammation chronique, dite aussi « inflammation de bas grade ». Cette inflammation va être, entre autres, à l’origine d’altérations de la paroi digestive qui laissera passer des molécules inflammatoires dans la circulation sanguine qui in fine pourront atteindre le cerveau. Bien entendu, les pathologies psychiatriques étant multifactorielles et multigéniques, il est évident que d’autres facteurs non immunologiques participent à la genèse de la maladie.   

Quelles conséquences a eu la découverte de la composante immunologique de certaines pathologies psychiatriques sur le traitement des troubles mentaux ?  

Grâce aux travaux récents en immuno-psychiatrie, on peut améliorer notre capacité à identifier les patients présentant une composante inflammatoire. Nous devrions donc pouvoir agir sur l’amélioration des symptômes, en particulier la résistance aux traitements classiques ou encore le déclin cognitif, en diminuant l’inflammation périphérique. Dans ce contexte, il faut rappeler que la majorité des antipsychotiques ont des effets anti-inflammatoires, et ce à des degrés variables. Cela pourrait expliquer une partie de leurs effets. En plus de ces traitements antipsychotiques, la médecine dispose d’une pharmacopée considérable et totalement éprouvée de traitements modulateurs de l’immunité (anti-inflammatoires, antibiotiques, immunosuppresseurs, probiotiques…). Leurs effets sont bien connus, car ils sont utilisés depuis plus d’un siècle pour toutes les pathologies immunitaires. L’usage d’immuno-modulateurs qui commence à faire l’objet d’essais thérapeutiques en France et dans le monde devrait permettre à l’avenir d’améliorer la symptomatologie des patients et ainsi améliorer leur vie quotidienne.  

Pouvez-vous nous présenter l’état de vos recherches ? 

Pour des raisons pratiques, nous avons focalisé nos recherches ces dix dernières années sur les pathologies fréquentes et importantes : la schizophrénie, les troubles bipolaires et l’autisme. Mon objectif et celui de mes collègues est d’analyser tous les marqueurs sanguins qui permettent de documenter des composantes sérologique, cellulaire, génétique dysimmunitaires dans différentes cohortes de patients, en particulier celles des Centres Experts de la Fondation FondaMental.  Ce criblage de l’immunité nous permettra de faire des analyses pour relier des marqueurs inflammatoires avec des symptômes cliniques, et ainsi faciliter le diagnostic de sous-groupes homogènes de patients et peut être à l’avenir d’améliorer notre capacité de prévenir les rechutes chez les patients stabilisés. 

De fait, nous voulons identifier des biomarqueurs pour sélectionner des groupes de patients homogènes et leur proposer des thérapies ciblées. C’est ce que l’on appelle la psychiatrie de précision. Notre approche consiste à considérer les troubles psychiatriques sous l’angle de dérèglements des processus immunitaires que l’on vise à améliorer en utilisant, en complément des traitements psychotropes classiques, des approches immuno-modulatrices. Notre département de psychiatrie a eu la chance de pouvoir créer des consultations d’immuno-psychiatrie et également de suivre des cohortes de patients de manière régulière et de leur proposer des bilans biologiques et immunologiques lors de visites annuelles. Cela permet de caractériser le profil immunitaire de chaque patient et de suivre l’évolution de ces marqueurs biologiques et immunologiques en lien avec l’évolution de leur trouble psychiatrique. 

Un point d’intérêt majeur dans nos recherches est le syndrome métabolique : il s’agit d’un dérèglement du métabolisme du glucose et des lipides qui touche environ 10% de la population française, mais beaucoup plus dans les troubles bipolaires (20%), les schizophrénies (24%) et la dépression résistante (38%). Il apparait en première phase des troubles cardio-vasculaires, qui sont, nous l’avons évoqué, l’une des complications majeures des troubles de l’humeur et des troubles psychotiques. Le suivi du syndrome métabolique permet de prévenir et de limiter l’apparition de maladies cardiovasculaires chez les patients. En effet, si le diagnostic immunobiologique de cette complication peut être posé bien avant l’apparition des symptômes cliniques, il permettra d’en améliorer la trajectoire clinique grâce à une prise en charge précoce sur le plan thérapeutique ou celui de leur hygiène de vie. La stéatose hépatique (dite « maladie du foie gras non alcoolique »), qui est plus fréquente, par exemple chez les patients bipolaires, peut être stabilisée avec un régime alimentaire adapté ainsi qu’une pratique sportive régulière. On constate une amélioration sur le court terme, même si cette condition doit être surveillée tout au long de la vie. 

Quelles ont été, ou seront, les conséquences de la pandémie sur la santé mentale des Français ? 

Tout d’abord, la crise sanitaire a été une période de stress prolongé. Cela rajoute un facteur environnemental de poids qui peut favoriser le déclenchement de maladies psychiatriques chez des personnes susceptibles. Nous constatons une explosion des cas d’anxiété et de dépression.

Sur l’aspect immunologique, le virus de la Covid 19, le SARS-CoV-2, est connu pour altérer les réponses immunitaires classiques avec des effets délétères, voire mortels. Ces effets s’exercent aussi au niveau du système nerveux qui est aussi le siège de composantes immunitaires spécifiques. 

De manière intéressante, nous avons récemment démontré que le SARS-CoV-2 réactivait un rétrovirus endogène humain de la famille W (HERV-W, human endogeneous retrovirus-W) qui est un facteur de risque important pour certaines pathologies psychiatriques comme la schizophrénie et les troubles bipolaires chez 30 à 40 % des patients. Par conséquent, la pandémie pourrait avoir déclenché ou aggravé certaines maladies psychiatriques. Nous sommes en train de publier les résultats de plusieurs études dans le contexte d’une collaboration Franco-Belgo-Suisse.

Enfin, la stigmatisation des patients psychiatriques a été un facteur d’aggravation socio-culturelle qui s’est traduit par une aggravation de leur état clinique. Deux de nos articles dans The Lancet l’an dernier ont montré que les patients psychiatriques n’ont pas du tout été priorisés pendant la pandémie, alors qu’ils sont plus fragiles et plus susceptibles aux formes graves de la Covid-19. 

Quels seront les enjeux de la médecine de précision de demain ?  

Depuis les années 2010, on savait qu’un quart de la population mondiale serait touché par un trouble psychiatrique en 2020. Notre priorité absolue est de parvenir à comprendre la composante immunologique des pathologies psychiatriques de manière trans-nosographique, afin d’identifier des axes thérapeutiques innovants en psychiatrie à l’aide de médicaments usuels en pathologie immunologique. L’industrie pharmaceutique s’est désengagée de la psychiatrie car elle ne trouvait pas de nouvelles cibles biologiques. Pourtant, elle dispose d’une pharmacopée extraordinaire et éprouvée, qui peut apporter des solutions innovantes en psychiatrie à l’aide de traitements bien connus. 

Nous devons également développer des tests immunologiques, afin d’aider les médecins à mettre leur expertise au service de la psychiatrie. Enfin, il est primordial d’aider les patients qui souffrent. Il existe encore un poids sociétal énorme lié aux maladies psychiatriques. Il faut déstigmatiser ces pathologies et agir pour qu’elles reviennent dans le concert des pathologies courantes, en somme en faire des maladies « comme toutes les autres ». 

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