"Les récentes découvertes sur les mitochondries nous permettent de cibler des voies spécifiques pour restaurer le métabolisme des patients et améliorer leur santé physique et mentale."
Interview avec le Dr Ana Cristina Andreazza, Pharm, PhD, Université de Toronto, Directrice scientifique de MITO2i.
Dr Andreazza, vous êtes l’un des leaders mondiaux de l’étude du métabolisme et des mitochondries en psychiatrie. Pouvez-vous nous dire quels sont les liens entre notre métabolisme et les troubles psychiatriques ?
Métabolisme et troubles psychiatriques sont deux concepts qu’il convient de clarifier avant d’explorer leur lien. Le métabolisme est le processus par lequel notre corps brûle des calories pour produire de l’énergie pour nos cellules. Ces cellules produisent à leur tour des hormones qui régulent nos fonctions corporelles. Chacun d’entre nous a un métabolisme unique qui réagit à son environnement et aux choix de vie que nous faisons. Tous nos choix de vie affectent notre métabolisme : ce que nous mangeons, combien de temps nous dormons, ce que nous faisons…
Pour illustrer l’influence de notre état corporel sur nos choix, prenons un exemple simple : lorsque nous sommes enrhumés ou grippés, nous sommes plus enclins à choisir une soupe chaude qu’une salade froide. Ce choix est influencé par notre état physique : nous nous sentons fatigués et nous voulons quelque chose de chaud et de facile à digérer. En d’autres termes, un changement physique a affecté notre comportement.
En psychiatrie, nous classons les troubles en fonction du comportement. Nous ne classons pas les maladies mentales en fonction de leurs causes, mais en fonction des changements de comportement qu’elles induisent. Tout comme la fatigue, les modifications du métabolisme peuvent induire des changements dans notre comportement, mais ces changements ne sont pas spécifiques à une maladie. Ce que nous appelons les troubles psychiatriques sont essentiellement des changements cérébraux qui reflètent des changements dans notre corps, dans notre métabolisme.
Pourriez-vous nous expliquer quel est le rôle des mitochondries et quels sont les liens entre les anomalies mitochondriales et les troubles mentaux ?
Pour expliquer le mécanisme qui relie les modifications du métabolisme aux changements de comportement, nous devons nous pencher sur les mitochondries. Les mitochondries sont des parties de la cellule appelées «organites» ; à l’école, on nous apprend qu’elles sont les «centrales électriques de la cellule», mais elles font bien plus que cela. Les mitochondries sont présentes dans presque toutes les cellules de l’organisme. Dans le cerveau, elles jouent un rôle essentiel dans la transmission de l’énergie. Cette fonction est critique car notre cerveau a des besoins énergétiques très élevés.
Les mitochondries produisent l’énergie nécessaire à la libération d’hormones appelées neurotransmetteurs, qui permettent la communication entre les neurones. Ce processus nécessite des quantités considérables d’énergie. Si notre métabolisme ne fonctionne pas correctement, il peut affecter la communication entre nos neurones, ce qui peut se manifester de différentes manières : soit trop de neurotransmetteurs, ce qui provoque un épisode maniaque, soit trop peu, ce qui se traduit par une dépression.
Les mitochondries sont également associées à notre système immunitaire. Si notre corps lutte contre une inflammation, les mitochondries déclenchent la production de protéines appelées cytokines pour la combattre. Toutefois, un excès de cytokines peut provoquer une neuroinflammation et nuire aux mitochondries.
Ces anomalies mitochondriales ne sont pas spécifiques à une seule maladie et peuvent affecter une ou plusieurs voies du cerveau. Notre objectif, en tant que chercheurs, est d’identifier des sous-groupes de patients présentant des modifications similaires de leur métabolisme, afin de leur proposer des traitements adaptés à leurs besoins spécifiques.
Comment les découvertes sur le métabolisme et les mitochondries peuvent-elles aider à mieux traiter les troubles mentaux et ouvrir la voie à une psychiatrie de précision ?
Les récentes découvertes sur les mitochondries nous ont aidés à cibler des voies spécifiques pour restaurer le métabolisme des patients et améliorer leur santé physique et mentale. Par ailleurs, nous savons que certains facteurs environnementaux ont un effet négatif sur notre santé métabolique, comme le sucre, l’alcool, le tabac, la pollution, le manque d’exercice et de sommeil. En revanche, une alimentation équilibrée composée de légumes et de protéines, une consommation suffisante d’eau et la pratique régulière d’une activité physique nous aident à maintenir un métabolisme sain.
Des recherches ont montré que certains patients souffrant de maladies psychiatriques présentent des dysfonctionnements métaboliques tels que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires ou le syndrome métabolique. Ces dysfonctionnements les empêchent d’assimiler normalement les médicaments. Pour utiliser une analogie, c’est comme si une voiture essayait de rouler avec le mauvais carburant. Pour traiter ces patients, nous devons d’abord rétablir leur santé métabolique avant de les traiter pour leur trouble mental.
La psychiatrie de précision vise à cibler les mécanismes spécifiques des maladies mentales afin d’adapter le traitement aux besoins individuels du patient. Pour ce faire, nous devons identifier les biomarqueurs de mécanismes métaboliques spécifiques et les traiter avec les médicaments appropriés afin d’aider les patients à retrouver une bonne santé physique et mentale.
Que pensez-vous des travaux de la Fondation FondaMental sur la psychiatrie nutritionnelle et l’immunopsychiatrie ?
Un bon moyen d’aider les patients dans les soins de routine est de vérifier leur santé métabolique, par exemple en testant la façon dont ils métabolisent l’insuline. La Fondation FondaMental montre que cette démarche est possible : elle intègre cette évaluation dans son approche unique. De mon point de vue, les soins que les patients reçoivent dans les centres d’expertise sont parmi les meilleurs au monde. L’approche holistique des troubles mentaux de la Fondation FondaMental est un avantage incroyable pour les patients.
Ses équipes comptent certains des plus grands experts mondiaux en immunogénétique, immunopsychiatrie et psychiatrie nutritionnelle, qui ont accès à de vastes cohortes à l’échelle nationale. Leurs travaux pourraient révolutionner la façon dont nous classons les patients en nous aidant à comprendre les interactions entre nos systèmes immunitaire, métabolique et alimentaire. Avec la Fondation FondaMental, nous espérons un jour inclure le dépistage de la santé mitochondriale dans la médecine préventive.
Leurs projets innovants dans le domaine de la psychiatrie nutritionnelle amélioreront le bien-être des patients, car ils leur offriront des conseils nutritionnels sur mesure, adaptés à leur mode de vie et à leurs besoins de santé spécifiques : c’est la psychiatrie nutritionnelle de précision. Dans leurs centres d’expertise, ils mettent déjà l’accent sur la sensibilisation des patients afin de les aider à comprendre leur propre santé et les interactions entre nutrition, métabolisme et symptômes psychiatriques.
Pouvez-vous nous parler de MITO2i ?
L’Initiative d’Innovation Mitochondriale (MITO2i) a été établie en tant qu’initiative stratégique institutionnelle (ISI) de l’Université de Toronto en mars 2020, avec un financement correspondant de la chaire Thomas C. Zachos en recherche mitochondriale, grâce à la contribution d’un donateur à la faculté de médecine Temerty. J’ai l’honneur d’être la bénéficiaire de cette chaire, ainsi que la fondatrice et la directrice scientifique de MITO2i.
La création de MITO2i repose sur un constat fondamental : le rôle des mitochondries dans la santé et la maladie est mal compris, et il n’existe pas à ce jour de biomarqueurs ni de traitements pour les maladies liées aux mitochondries et les maladies présentant un dysfonctionnement mitochondrial sous-jacent.
La vocation de MITO2i est d’innover dans le domaine de la médecine et de la recherche mitochondriales en créant une communauté mondiale, en menant des recherches interdisciplinaires et en développant de nouveaux outils et de nouvelles plateformes. Notre objectif est de transformer la compréhension de la santé et des maladies mitochondriales pour aboutir à de meilleurs diagnostics et traitements qui améliorent la qualité de la vie des patients. À terme, nous avons pour ambition de transformer la prise en charge des patients en intégrant la santé mitochondriale dans les soins de routine.
La relation entre le dysfonctionnement mitochondrial et plusieurs maladies graves est connue depuis longtemps. Des recherches plus récentes ont établi des liens avec un large éventail de troubles neurodégénératifs et métaboliques. Cela change la donne : la découverte de l’implication du dysfonctionnement mitochondrial dans de multiples maladies va transformer les diagnostics médicaux, les technologies et les systèmes d’administration de médicaments, entraînant un changement de paradigme dans la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies. MITO2i est un centre de collaboration qui engage toutes les parties prenantes à faire progresser la science dans le domaine de la médecine et de la recherche mitochondriales.