« Il est impératif de soutenir la recherche afin de développer une médecine de précision en santé mentale, qui permettra de réamorcer l’innovation. »
Interview avec Franck Mouthon, Président de France Biotech.
Quels sont les freins à l’innovation en psychiatrie en France ?
D’un point de vue global, l’investissement en santé mentale est plutôt en retrait en termes d’offre d’innovation, par rapport à la demande qui reste colossale. Aujourd’hui, les maladies mentales sont le premier poste de dépenses en santé en France. Ainsi, au-delà de l’impact sociétal de ces maladies cela représente un fardeau médico-économique considérable. Globalement, le secteur de la santé mentale ne bénéficie pas d’autant d’offres d’innovation que l’oncologie ou la neurologie. L’un des principaux freins à l’innovation en santé mentale est la difficulté, pour les entreprises, à démontrer la valeur de l’innovation pour les patients. En effet, il faut pouvoir démontrer la valeur de l’innovation, qui est un des indicateurs clés de l’investissement sur le secteur, pouvoir bénéficier d’un prix de remboursement soutenable pour les investisseurs. Le risque est grand de subir un échec de développement faute de pouvoir démontrer la supériorité de l’innovation par rapport à des médicaments existants. De plus, ces derniers ont perdu toute leur valeur car, sur la quasi-totalité des franchises, les médicaments sont génériqués. Il faut donc démontrer un supplément de valeur médicale par rapport à un produit dont le prix est déjà très bas.
Aujourd’hui, compte tenu de la connaissance scientifique et médicale de ce secteur, peu d’outils sont disponibles pour identifier les mécanismes d’action permettant de constituer des groupeshomogènes de patients, étape nécessaire au développement de nouvelles solutions thérapeutiques.
Les échelles d’évaluation actuelles restent majoritairement subjectives et imprécises, et ne permettent pas de déterminer la valeur médicale réelle des innovations. Il faut également souligner la moins bonne translationalité des modèles précliniques en psychiatrie, par rapport à d’autres domaines de santé. En effet, avant de tester un médicament chez l’homme, il faut le tester dans des modèles soit in vitro, soit in vivo. Actuellement, ces modèles n’abaissent que très partiellement le risque d’échec dans le développement clinique.
C’est pourquoi il est impératif de soutenir la recherche afin de développer une médecine de précision en santé mentale, qui permettra de réamorcer l’innovation et de rassurer les investisseurs pour qu’ils aient une meilleure maitrise du risque porté par le développement. Cela permettra de mieux comprendre les mécanismes des différentes pathologies, et de mieux stratifier les patients en sous-groupes homogènes, mieux définir des modèles précliniques afin de pouvoir identifier le bon traitement pour le bon patient au bon moment. Dans cette optique, le PEPR en santé mentale PROPSY, que la France a choisi de soutenir, est selon moi un excellent signal pour les entrepreneurs et les investisseurs.
Vous avez évoqué le PEPR Propsy comme un signal fort pour l’investissement en santé mentale.Quels autres domaines sont, selon vous, porteurs d’innovation ?
Au-delà de ces freins, on a aujourd’hui des signaux forts d’enjeux d’investissement sur la partie « numérique en santé » dans le domaine de la santé mentale. Très récemment, le ministre de la Santé François Braun a annoncé le lancement d’un grand défi numérique en santé mentale dans le cadre de France 2030. Afin de répondre aux besoins actuels et futurs en santé mentale, il est impératif d’encourager le développement et le déploiement des solutions numériques en tenant compte des dernières avancées de la recherche. L’évaluateur doit ainsi favoriser l’utilisation de nouvelles méthodologies d’évaluation : utilisation des données en vie réelle, des cohortes, des biomarqueurs…
L’arrivée de la prise en charge anticipée du numérique (PECAN) sur le territoire français pourrait être une excellente opportunité d’encourager le développement et le déploiement de solutions numériques en santé mentale. Elles permettront notamment de diversifier l’arsenal de prise en charge par des thérapies digitales, d’accompagner et de renforcer la relation patient-soignant-aidant, de réduire les inégalités liées aux déserts médicaux par des solutions de suivi à distance qui permettront aussi de redéployer plus de temps soignant pour les patients. Le numérique en santé est une des solutions qui permettent de rapprocher les patients du système de santé pour une meilleure prise en charge et une identification plus précoce des patients. De plus, cela permettra d’aider à la déstigmatisation de ces maladies mentales, qui touchent une personne sur cinq en France.
Certains pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne l'ont déjà compris, en prenant en charge des solutions numériques en santé mentale pour renforcer la diversité de leur arsenal de prise en charge des patients.
Comment les biotechs et les medtechs peuvent-elles aider à développer la médecine de précision en psychiatrie ?
Comme je l’ai dit précédemment, la recherche doit identifier des mécanismes d’action biologiques, des biomarqueurs, pour identifier des sous-groupes homogènes de patients. Aujourd’hui, nous avons besoin d’enrichir ces critères de sélection grâce à la recherche, tout d’abord pour permettre une mesure précise de l’efficacité des innovations, et ensuite pour identifier quels patients ont la plus forte probabilité de répondre au traitement. C’est un véritable partenariat public/privé qui va mobiliser le réseau des entreprises biotech et medtech, et qui doit permettre d’identifier ces facteurs de sélection, en particulier grâce à la cohorte du PEPR PROPSY. Cette cohorte de 10 000 adultes évalués soit dans les réseaux des Centres Experts de la Fondation FondaMental, soit dans les centres du RHU Psy-Care, recueillera différentes données sur le plan clinique, comportemental, environnemental, et à l’aide d’outils numériques, de marqueurs biologiques et d’imagerie cérébrale.
Comment faciliter la mise sur le marché des nouvelles découvertes scientifiques ?
France Biotech est un des cofondateurs d’Impact, un accélérateur d’innovation en santé mentale qui a pour ambition de proposer un accompagnement de jeunes entreprises innovantes dans le secteur de la santé mentale, de développer et déployer des solutions numériques et de faciliter les partenariats publics/privés. En 2023, la deuxième édition d’Impact accompagnera 4 à 5 projets de solutions numériques en santé mentale pour soulager le système de santé et les patients pris en charge dans le cas de leur maladie psychiatrique. Impact 2 unit les forces vives publiques et privées, dont PariSanté Campus, la Fondation Université Paris Cité, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Otsuka, Eisai, France Biotech et France Assureurs. De nouveaux partenaires rejoignent le projet : le Groupe Vyv et MGEN, la Fondation FondaMental, le Groupe Hospitalier Universitaire Paris- Psychiatrie & Neurosciences et iPEPS. Cette deuxième édition d’Impact permet de donner de la visibilité au secteur de la santé mentale sur différents axes : la prévention, le suivi et la prise en
charge, la continuité extrahospitalière de l’accompagnement avec un élargissement du périmètre à la pédopsychiatrie, la psychiatrie de l’adulte et la démence des personnes âgées.
Un autre levier pour encourager l’innovation en santé mentale est la création de tiers-lieux, comme DIGIMENTALLY qui a été labellisé au Centre Hospitalier Le Vinatier (Lyon) en fin d’année dernière. Ce tiers-lieu d’expérimentation a été lauréat de l’appel à projet national « Tiers-lieux d’expérimentations » et s’inscrit dans le plan France Relance 2030, du programme d’investissements d’avenir et de la Stratégie nationale d’accélération « Santé Numérique ». Ce tiers-lieu, fruit de la collaboration du Centre Hospitalier Le Vinatier, de la Fondation ARHM et de l’Adapei 69, a pour ambition d’accompagner les solutions de services numériques en santé mentale dans une démarche de co-conception public/privé. DIGIMENTALLY s’appuie sur une approche living lab, où des dispositifs médicaux numériques sont confrontés à l’utilisateur en vie réelle. Cela permet tout d’abord de faire remonter les besoins des soignants dans ce secteur, mais aussi de proposer, de façon descendante, des solutions numériques en santé. Cette confrontation avec l’utilisateur peut se faire à différentes phases du projet : soit dans leur design, soit dans leur développement réglementaire, soit dans leur déploiement dans le soin.
Quelles sont les perspectives de la Healthtech en France pour 2030 ?
Le Plan Innovation Santé annoncé par le Président de la République fin juin 2021 est sans précédent en termes d’ambition et de montants. Cette ambition s’étend à toutes les familles technologiques, les biotechs, les medtechs et le numérique en santé dans toutes ses applications, dans le but de faire de la France un leader européen de l’innovation en santé et de permettre la mise à disposition de ces innovations le plus rapidement possible aux patients et au système de santé. Au-delà des financements, il s’accompagne d’une réduction de la complexité administrative et réglementaire qui favorisera les synergies entre la recherche, le développement et les acteurs de santé. De plus, lors des Assises de la Santé mentale, le Président de la République a annoncé le financement qui a conduit au PEPR PROPSY, pour soutenir la recherche et l’innovation en psychiatrie.
La santé mentale est l’enjeu majeur du XXIe siècle : il faut désormais que tous les acteurs, publics et privés, s’alignent pour développer un programme d’innovation ambitieux, capable de répondre aux besoins croissants dans ce domaine. Patients et aidants, autorité de santé, chercheurs, cliniciens, industriels, tous ont un rôle à jouer pour se montrer à la hauteur de ces ambitions.