Les chercheurs ont étudié les paramètres immunologiques dans la stratification des patients atteints de schizophrénie ou de troubles bipolaires, ce qui a permis de confirmer l’implication du rétrovirus endogène humain de la famille W (HERV-W).
Comprendre le comportement du rétrovirus endogène humain de la famille W (HERV-W)
Il s’agit d’un élément génétique mobile présent de manière naturelle dans le génome humain (8%) qui peut devenir actif dans des circonstances particulières de stress et à des périodes importantes du développement neurologique.
Une fois activé, HERV-W va produire dans la circulation sanguine des protéines virales douées de capacités inflammatoires et toxiques pour les tissus cérébraux. Il est estimé que cette activation est retrouvée dans 40 à 50 % des patients atteints de schizophrénie ou de troubles bipolaires.
INTERVIEW CROISEE DES PRINCIPAUX AUTEURS DE L’ETUDE
Que sont les rétrovirus endogènes humains HERV ? Quel était l’intérêt de vous concentrer sur le HERV-W en particulier ?
Dr. Hervé Perron, CSO de GeNeuro
Les rétrovirus endogènes humains sont des copies ADN de rétrovirus qui ont été introduites dans les chromosomes de cellules germinales lors d’infections au cours de l’évolution, puis transmises par voie héréditaire.
Certaines copies ont été « domestiquées » et jouent maintenant des rôles physiologiques importants, apportant ainsi des fonctionnalités utiles aux humains. La plupart ont été inactivées mais peuvent encore jouer un rôle de régulation génétique.
Certaines ont gardé un potentiel d’expression de protéines virales qui peuvent avoir des effets pathogènes dans certaines circonstances, mais sont normalement maintenues « silencieuses » par de nombreux mécanismes qui répriment leurs gènes.
Ce sont ces dernières que l’on a trouvées anormalement dé-réprimées et produisant une protéine pathogène dans certaines formes de schizophrénie et de maladie bipolaire, en l’occurrence la protéine d’enveloppe de la famille HERV-W (HERV-W ENV).
La spécificité du projet réside dans l’étude de données « multivariées », pouvez-vous en dire plus sur l’importance de ce genre d’études ?
Pr. Urs Meyer, Associate Professor in Pharmacology (PhD) at the University of Zurich
Nous avons en effet effectué une analyse en grappes (qui identifie des groupes de marqueurs ayant des profils d’expression similaires et différents d’un groupe à l’autre) non supervisée et multivariée.
Elle a ainsi intégré des facteurs immuno-biologiques, tels que les cytokines sériques et les éléments rétro viraux endogènes ou encore des facteurs de risque de psychose, tels que l’exposition à un traumatisme dans l’enfance.
L’intérêt de cette approche est qu’elle permet d’identifier des relations encore inconnues entre de multiples facteurs de maladie d’une manière globale, ce qui ouvre de nouvelles voies pour de futures études mécanistiques et de nouvelles approches thérapeutiques tenant compte de ces relations.
Des milliers de données de patients ont été collectées, regroupées, traitées et analysées. Concrètement, comment cela se passe-t-il ? En quoi la coopération entre des équipes franco suisses a représenté une valeur ajoutée ?
Dr. Hervé Perron, CSO de GeNeuro
L’étude publiée sur les pathologies psychiatriques est le fruit d’une collaboration active entre les universités suisses et françaises (Paris/Créteil et Zürich, Fondation FondaMental France et Suisse), une société de biotechnologie genevoise (GeNeuro) et sa filiale française (GeNeuro-Innovation, Lyon).
Cela a permis d’effectuer une recherche fondamentale sur un plus grand nombre d’échantillons de patients et de déduire des perspectives concrètes d’applications thérapeutiques et diagnostiques pour les malades.
Cette collaboration a rendu possible l’utilisation d’outils et de techniques qui ne sont pas encore commercialisés, et de les mettre au service de la recherche dans le cadre hospitalo-universitaire.
La proximité des partenaires et les recherches déjà effectuées ensemble ont permis de réussir là où l’on avait « tourné en rond » depuis des années : nous avons ainsi pu définir les paramètres biologiques qui définissent les sous-groupes de patients qui activent HERV-W ENV parmi ceux qui ont un diagnostic clinique de schizophrénie (environ 40-50%) ou de maladie bipolaire (environ 30%).
Pr. Urs Meyer, Associate Professor in Pharmacology (PhD) at the University of Zurich
En effet, la complémentarité entre les équipes françaises, spécialisées en psychiatrie, rétrovirologie et immunologie, et les équipes suisses apportant leur expertise en modèles statistiques complexes, a été déterminante pour le succès de l’étude. Cette complémentarité était nécessaire pour identifier des sous-groupes de patients, les profils inflammatoires et les caractéristiques cliniques.
En quoi cette étude représente-t-elle une avancée majeure vers la médecine personnalisée en psychiatrie ?
Dr Ryad Tamouza, Université Paris-est-Créteil, Hôpitaux Universitaires Henri Mondor, Fondation Fondamental
Cette étude a rendu possible l’identification de sous-groupes de personnes porteuses ou non d’inflammation.
Cela nous permet, à terme, de pouvoir offrir des traitements plus efficaces ciblant spécifiquement l’inflammation, que nous pouvons neutraliser indirectement par des composés visant sa réduction par le biais d’anti-inflammatoire, ou de manière plus directe, par la neutralisation du HERV lui-même.
Il existe en effet une immunothérapie basée sur l’utilisation d’anticorps anti-HERV qui a été développée et testée dans la sclérose en plaques.
Pr. Urs Meyer, Associate Professor in Pharmacology (PhD) at the University of Zurich
À mon avis, l’un des aspects les plus pertinents de notre étude est qu’elle souligne l’hétérogénéité des facteurs pathologiques associés aux troubles majeurs de l’humeur et aux troubles psychiatriques.
Mais en même temps, elle montre que l’hétérogénéité peut être utilisée pour identifier des sous-groupes de patients qui pourraient éventuellement bénéficier d’interventions thérapeutiques plus adaptées ou plus spécifiques.
C’est cela la médecine personnalisée en psychiatrie.
Les résultats de cette étude tendent à démontrer que les maladies psychiatriques peuvent être diagnostiquées, soignées et prises en charge comme n’importe quelle autre maladie ?
Dr Ryad Tamouza, Université Paris-est-Créteil, Hôpitaux Universitaires Henri Mondor, Fondation Fondamental
En effet, comme la majorité des pathologies humaines, les troubles psychiatriques ont eux aussi une composante inflammatoire importante, ce qui les rend accessibles à des composés pharmacologiques que l’on maîtrise parfaitement car utilisés depuis des décennies dans les pathologies immunitaires communes, comme les affections rhumatologiques chroniques.
L’étude a également montré que le Covid-19 peut réactiver le retrovirus HERV-W, ce point fait désormais l’objet d’un projet à part, mené au niveau européen. Pouvez-vous en dire plus ?
Dr. Hervé Perron, CSO de GeNeuro
Nous savions que des toxiques ou certaines infections par des virus de l’environnement peuvent dé-réprimer et activer ces HERV et permettre la production de leurs protéines pathogènes.
C’est notamment ce que l’on comprend en étudiant l’épidémiologie de certaines infections péri-natales et de l’adulte jeune dans, par exemple, la schizophrénie. Ceci, aussi, parce que l’on a pu montrer dans des infections en culture de cellules que les virus en question activaient effectivement une expression pathogène HERV.
Mais, jusqu’à présent, on ne pouvait voir que l’activation persistante car auto-entretenue et/ou les séquelles induites par des HERV longtemps après l’activation produite par une ou des infections éliminées depuis des années.
Dans le COVID-19, les anomalies observées dans le fonctionnement du système immunitaire et l’activation inflammatoire démesurée pour une infection avec ce coronavirus (SARS-CoV2) nous a fait suspecter qu’il puisse activer un ou des HERV dont nous connaissions les propriétés immuno-pathogènes de certaines protéines.
C’est la protéine HERV-W ENV aux effets pro-inflammatoires et neurotoxiques qui a été trouvée fortement activée par le SARS-CoV2, mais directement dans les globules blancs du sang et en même temps que l’infection initiale. En revanche, seulement 20% des cellules sanguines de donneurs sains ont activé cette HERV dans des cultures mises en présence du SARS-CoV2, ce qui indique que la majorité des personnes n’activera pas cette HERV lors de l’infection de la COVID-19.
Dr Ryad Tamouza, Université Paris-est-Créteil, Hôpitaux Universitaires Henri Mondor, Fondation Fondamental
Oui, tout cela est très important à plus d’un titre : d’une part si cela était confirmé, on pourrait disposer de l’immunothérapie sus-citée pour neutraliser l’inflammation qui est la cause principale des symptômes chez les patients atteints de formes graves de Covid.
D’autres part, en population psychiatrique où il existe, ainsi que le montre notre étude, une expression de HERV-W, une réactivation secondaire suite à l’infection Covid pourrait avoir des conséquences importantes sur la gravité et l’évolution des troubles psychiatriques. Donc pouvoir identifier les patients ayant cette surexpression HERV est d’une importance majeure.
____–-