"Nous avons élaboré un test simple permettant de poser un diagnostic d'autisme y compris chez des enfants en bas âge."
Interview avec le Pr. Angela Sirigu, Directrice de recherche CNRS à l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod, Directrice scientifique du Centre d’excellence autisme et troubles du neurodéveloppement IMind (Lyon-Bron), membre de l’Alliance FondaMental
Pr. Sirigu, vous êtes chercheuse en neurosciences cognitives, spécialiste de l’autisme. Médaille d’argent du CNRS en 2013, Prix Marcel Dassault pour la recherche sur les maladies mentales en 2012, vous êtes mondialement connue pour votre contribution à l’étude du rôle du cortex pariétal dans la représentation du mouvement et la prédiction de ses conséquences sensorielles.
Comment l’étude des mouvements des yeux peut-elle aider à détecter des troubles neurocognitifs comme l’autisme ?
Le terme autisme désigne différents symptômes, c’est pourquoi on parle aujourd’hui de « troubles du spectre autistique » ou TSA. L’autisme se caractérise par un mode de fonctionnement cérébral diffèrent de celui des sujets neurotypiques et se manifeste par une communication verbale réduite, des comportements moteurs répétitifs ou stéréotypies motrices. On estime que l’autisme concerne 1% de la population. Pour caractériser les TSA, on évalue donc différents tests standardisés sont disponibles pour évaluer le comportement moteur, social et émotionnel. Ces tests toutefois requirent pour la plupart un temps de passation assez long et souvent ils ne sont pas adaptés pour évaluer les enfants de moins de 3 ans.
Dans notre recherche, nous avons voulu élaborer un test simple des troubles précoces de la sociabilité, afin de permettre de poser un diagnostic d’autisme y compris chez des enfants en très bas âge (18 mois à 2 ans). Les tests actuels du TSA s’adressent à des enfants plus âgés, et impliquent une certaine compréhension des instructions. Au contraire, le test que nous avons créé se base sur le suivi des mouvements des yeux.
Dans la littérature scientifique, il a été démontré que l’analyse des mouvements oculaires avec la methode eye-tracking, offre une perspective permettant de saisir où se porte l’attention et les préférences d’un individu lorsqu’il explore le monde. Par exemple, lorsqu’on explore une image tel qu’un visage chez une personne neurotypique, c’est-à-dire ne présentant pas de troubles du neurodéveloppement, l’attention se porte immédiatement sur les yeux. En effet, cette zone est très riche en informations sur les pensées et les émotions de celui qui regarde. Plusieurs études scientifiques ont permis de démontrer qu’une personne autiste, lorsqu’elle est mise en présence d’un visage, va regarder d’autres régions que les yeux, par exemple, la bouche.
En quoi cette perception différente de l’environnement par les personnes autistes est-elle révélatrice de difficultés de la communication et des interactions sociales ?
Une étude récente combinant l’étude des mouvements oculaires et un électroencéphalogramme a démontré que même si on amène le sujet à regarder la région des yeux, il ne traite pas l’information de la même manière qu’une personne neurotypique. En enregistrant l’activité électrique du cerveau, l’encéphalogramme révèle une onde caractéristique après avoir observé un visage chez les sujets neurotypiques, dont l’amplitude est liée au temps passé sur la zone des yeux. Cette onde est absente chez les personnes autistes, même si on les amène à regarder la zone des yeux. L’information n’est donc pas traitée de la même manière.
Cette étude a apporté la preuve que les personnes autistes ne peuvent pas percevoir ces informations sociales pertinentes sur le comportement ou les préférences des autres. Cela confirme les observations faites en pratique clinique : même quand on cherche à faciliter l’attention du sujet vers la région des yeux, l’information n’est pas saisie.
De nombreuses autres études viennent confirmer l’intérêt du suivi des mouvements oculaires pour différentes pathologies, notamment pour les troubles de l’attention. En effet, il existe des modèles, des patterns d’exploration du visage typiques de certaines conditions neurologiques.
Comment les professionnels de santé peuvent-ils utiliser les outils numériques pour détecter l’autisme chez leurs patients ?
Les études dont nous avons parlé nécessitent l’utilisation d’un système d’eye-tracking onéreux et très complexe à mettre en place, surtout dans un cadre clinique. De plus, son utilisation nécessite des compétences informatiques avancées.
La méthode que nous avons développée est une alternative simple et facile à utiliser, appelée Digitrack. Elle est utilisable très facilement sur tablette ou sur téléphone. Le praticien présente au sujet une image floutée, que le sujet peut « déflouter » avec le doigt en explorant l’écran tactile. En substituant les doigts aux yeux, cette méthode permet une exploration de l’intérêt du sujet pour différentes parties de l’image. Les patterns d’attention sont identiques à ceux qui sont observés avec les techniques d’eye-tracking : un sujet neurotypique explorera en premier les visages, tandis qu’une personne autiste portera son attention sur des détails de l’image, mais jamais sur les parties les plus « socialement saillantes ».
La méthode digit-tracking est beaucoup plus simple à mettre en place et permet de tester facilement des individus de tous âges, de deux ans à l’âge adulte, voire des personnes âgées.
Elle permet de mettre en évidence des difficultés à comprendre les émotions d’autrui, des troubles de l’attention, des émotions ou de la sociabilité. Cela permet d’obtenir un diagnostic différentiel et précoce, utilisable sur de nombreuses pathologies liées aux différentes fonctions cognitives.
Actuellement, la méthode digit-tracking est également employée dans le domaine de l’éducation pour repérer des enfants ayant des difficultés d’apprentissage de la lecture ou des difficultés cognitives dites « troubles dys » : dyslexie, dyspraxie… Elle peut être utilisée aussi bien par des enfants neurotypiques que des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement. Cela permet de mettre en place des interventions précoces adaptées à leurs besoins, pour limiter l’impact de ces difficultés sur leur parcours scolaire.
Pourquoi est-il important de diagnostiquer très tôt les troubles neurodéveloppementaux comme l’autisme ?
Il est très important pour les familles d’être informées sur les troubles neurodéveloppementaux, afin de permettre un repérage précoce et la mise en place d’une aide adaptée. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à en parler avec un professionnel de santé : médecin généraliste, pédiatre… Celui-ci pourra ensuite rediriger les parents vers un professionnel de santé spécialisé dans l’autisme.
Il n’existe aucun traitement permettant de guérir l’autisme, mais une variété de thérapies et d’interventions peuvent en atténuer les symptômes et améliorer les apprentissages : orthophonie, rééducation psychomotrice, thérapies cognitivo-comportementales… Il est important de réagir de façon précoce dès les premières suspicions. En effet, un dépistage et une prise en charge dès le plus jeune âge permettent un meilleur accompagnement de l’enfant.
Peut-on être diagnostiqué à l’âge adulte ? Comment le centre IMind et les Centres Experts de la Fondation FondaMental accompagnent-t-ils les personnes autistes dans leur parcours de soin ?
Oui, bien sûr. Malheureusement, nous rencontrons encore trop d’exemples d’errance médicale. Si la détection des symptômes s’est améliorée ces dernières années, les TSA sont encore diagnostiqués tardivement chez l’adulte, en particulier chez les femmes. Si le diagnostic peut être difficile à établir en raison de la multiplicité des profils que regroupe ce spectre, les troubles de la sociabilité sont au centre des difficultés rencontrées par les personnes vivant avec un TSA. Pour ces personnes, le diagnostic est un soulagement.
L’un des enjeux pour faire face à ce retard de diagnostic est la formation et la sensibilisation des professionnels de santé de proximité. Le centre iMIND, porté par le centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, a été labellisé en 2020. Il regroupe des cliniciens et de scientifiques issus de la région lyonnaise, mais aussi de Grenoble, Clermont-Ferrand et Saint-Etienne pour créer des synergies et améliorer la prise en charge et la qualité de vie des personnes vivant avec un trouble du spectre autistique.
Les Centres Experts TSA de la Fondation FondaMental proposent aux patients adultes un parcours de soin qui allie expertise médicale de pointe et participation à la recherche. Ils permettent de réaliser un bilan complet de leurs troubles, notamment biologique. Les troubles du spectre autistique sont souvent accompagnés par des comorbidités somatiques, qui peuvent avoir un impact sur leur qualité de vie. Après un premier rendez-vous en hôpital de jour, ce bilan permet de définir un programme thérapeutique personnalisé qui sera adressé au médecin traitant. Si le patient le désire, il peut également participer à des projets de recherche au sein d’une vaste cohorte de patient à l’échelle nationale, pour contribuer à faire avancer les connaissances sur ces troubles.
En 2012, vous avez reçu le Prix Marcel Dassault pour la recherche sur les maladies mentales dans la catégorie « chercheur de l’année » pour vos travaux portant sur l’effet thérapeutique potentiel de l’ocytocine sur les difficultés d’interaction sociale dans l’autisme. Que pouvez-vous nous dire des dernières avancées de la recherche sur ce sujet ?
En 2010, j’ai publié un premier article avec Marion Leboyer, qui a permis de mettre en évidence le rôle de l’ocytocine dans l’amélioration des capacités sociales des personnes vivant avec un trouble du spectre autistique. De nombreuses études ont été publiées depuis, donnant lieu à une discussion très riche. Aujourd’hui, nous savons que l’ocytocine jour un rôle très important dans la modulation de l’activité neuronale liée à la régulation du comportement sociale. Nous devons poursuivre nos efforts afin de mieux comprendre le rôle de cette molécule dans les comportements sociaux chez l’homme.