Les troubles psychotiques sont caractérisés par des altérations importantes de la pensée et des perceptions, touchant de 1 à 5% de la population. L’identification des mécanismes moléculaires impliqués dans ces troubles reste, aujourd’hui encore, un enjeu majeur pour la compréhension, le diagnostic et la prise en charge des patients.
Une équipe mixte CNRS-Université de Bordeaux, dirigée par le Dr Laurent Groc et membre de la Fondation FondaMental, en collaboration avec le Pôle de Psychiatrie des Hôpitaux Universitaires Henri Mondor dirigé par le Pr Marion Leboyer vient de confirmer, chez 20% des patients atteints de schizophrénies, l’implication de désordres auto-immuns ainsi que leur mécanisme d’action au niveau de la synapse. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature Communications et ouvrent la voie à de nouvelles hypothèses thérapeutiques. Laurent Groc a été lauréat du Prix Marcel Dassault pour la recherche sur les maladies mentales en 2015 pour ses travaux sur l’auto-immunité dans les psychoses.
Prise en charge des troubles psychotiques : renouer avec l’innovation thérapeutique !
La prise en charge des troubles psychotiques a connu, dans la deuxième moitié du XXème siècle, des avancées décisives liées aux progrès de la pharmacologie. La découverte des premiers antipsychotiques s’est accompagnée d’une amélioration des symptômes et d’une réduction des rechutes. Pour autant, une part non négligeable des patients reste aujourd’hui résistante à toute thérapeutique. Si la précocité de la prise en charge est associée à une meilleure réponse au traitement, l’identification de nouvelles voies biologiques s’impose pour découvrir des traitements inédits plus ciblés et offrir aux patients des stratégies sur-mesure.
Immunité et troubles psychiatriques : des liaisons dangereuses
Après avoir été une source de grands progrès dans le traitement des cancers, l’étude de nos mécanismes naturels de défense contre l’infection et le stress apparaît également très prometteuse en psychiatrie.
Depuis plusieurs années, les équipes de recherche du réseau de la Fondation FondaMental s’intéressent, en effet, aux liens entre des dérèglements du système immunitaire et les troubles psychiatriques majeurs.
Le rôle de l’immunité dans les maladies psychiatriques de façon générale, et plus spécifiquement dans les troubles psychotiques, est désormais bien démontré. Certains travaux suggèrent notamment que des désordres du système immunitaire, comme les mécanismes auto-immuns, participeraient directement au dérèglement des grandes voies de communication synaptique dans le cerveau.
La découverte récente d’auto-anticorps dirigés contre le récepteur synaptique glutamatergique NMDA, chez des patients psychotiques, a donné un souffle nouveau au lien entre auto-immunité et psychose.
Psychoses auto-immunes : découverte des mécanismes d’action
Dans un travail multidisciplinaire entre neurobiologistes et psychiatres, publié dans le journal Nature Communications, l’équipe du Dr Laurent Groc (CNRS - Université de Bordeaux, membre de la Fondation FondaMental) a montré que 20% de patients atteints de schizophrénies sont séropositifs pour cet autoanticorps dirigé contre le récepteur NMDA.
Grâce à des techniques de pointe en imagerie moléculaire, l’équipe du Dr Laurent Groc s’est également intéressée au mécanisme d’action de l’autoanticorps sur le fonctionnement de la synapse afin d’en comprendre le rôle pathogène.
Il apparait que ces autoanticorps ne bloquent pas le récepteur, comme un antagoniste classique (par exemple PCP, kétamine), mais qu’ils déstabilisent et délocalisent le récepteur en dehors de la synapse. Cette réorganisation modifie la plasticité de la synapse, réduisant sa capacité à s’adapter à l’activité du réseau neuronal.
Des autoanticorps anti-récepteur NMDA ont aussi été détectés chez 2% de sujets sains qui ne présentent aucune histoire psychiatrique et neurologique. De façon surprenante, ces autoanticorps n’ont aucun effet délétère sur le récepteur et la synapse.
Ce travail démontre donc que les autoanticorps purifiés chez des patients schizophrènes, et pas ceux de sujets sains, perturbent la transmission excitatrice glutamatergique (80% de la transmission cérébrale).
Vers de nouveaux traitements ?
Les travaux portés par l’équipe du Dr Laurent Groc sont porteurs de grands espoirs. Ils contribuent à la meilleure caractérisation des schizophrénies, dont les formes sont très hétérogènes et pour lesquelles on applique encore aujourd’hui les mêmes stratégies thérapeutiques, faute de perspectives nouvelles de compréhension.
Ces résultats ouvrent également la voie à des innovations thérapeutiques potentiellement majeures.
« Nos travaux suggèrent que pour traiter les psychoses auto-immunes, il s’agirait non pas de régler l’activité des récepteurs (ce que ciblent les psychotropes) mais de les remettre au bon endroit. Offrir aux patients atteints de schizophrénies un traitement ciblant spécifiquement ces autoanticorps ouvre des perspectives réelles et concrètes, comme les immunothérapies, qui sont utilisées quotidiennement dans les hôpitaux. » Dr Laurent Groc, UMR 5297, Université de Bordeaux
« Ces résultats sont majeurs et constituent une avancée inédite en psychiatrie. Non seulement, ils ont permis de démontrer qu’une part non négligeable de nos patients présente une forme auto-immune de schizophrénie, mais ils éclairent également le mécanisme d’action, nous donnant ainsi des pistes nouvelles et concrètes de traitements. Il nous reste certes encore du chemin à faire mais nous avons rarement été aussi près du point de la rupture scientifique et médicale attendue. » Pre Marion Leboyer, Directrice de la Fondation FondaMental
Nat Commun. 2017 Nov 27;8(1):1791. doi: 10.1038/s41467-017-01700-3. Free PMC Article
Dynamic disorganization of synaptic NMDA receptors triggered by autoantibodies from psychotic patients.
Jézéquel J, Johansson EM, Dupuis JP, Rogemond V, Gréa H, Kellermayer B, Hamdani N, Le Guen E, Rabu C, Lepleux M, Spatola M, Mathias E, Bouchet D, Ramsey AJ, Yolken RH, Tamouza R, Dalmau J, Honnorat J, Leboyer M, Groc L.