Prévenir l’impact du trouble lié à l’usage d’alcool dans les troubles bipolaires
La deuxième dépendance la plus fréquente dans les troubles bipolaires
Les personnes vivant avec un trouble bipolaire présentent très fréquemment des troubles liés à l’usage d’alcool (TLUA), qui déstabilisent l’humeur et compliquent la prise en charge. Les troubles liés à la consommation d’alcool sont la deuxième dépendance la plus fréquente dans les troubles bipolaires, après ceux liés au tabagisme. (1)
Selon de nombreuses études, la comorbidité entre le trouble bipolaire et le TLUA est associée à des résultats cliniques plus faibles et une évolution de la maladie plus sévère que dans le trouble bipolaire seul.
Identifier plus précisément les facteurs d’apparition du trouble bipolaire et du trouble de la consommation d’alcool permettrait de mieux comprendre les trajectoires des patients et ainsi ouvrir la voie à l’élaboration de stratégies de prévention ciblées.
Étudier les évolutions différentes selon l’ordre d’apparition des troubles
Des chercheurs du groupe d’étude BIPolaire-ADDiction (BIPADD) du réseau des Centres Experts Troubles Bipolaires de la Fondation FondaMental ont cherché à savoir si l’ordre d’apparition entre le trouble bipolaire et le TLUA était associé à des évolutions différentes.
« Nous avons émis l’hypothèse que la présence d’un trouble de consommation d’alcool serait associée à des profils cliniques plus sévères de trouble bipolaire par rapport au trouble bipolaire sans trouble de consommation d’alcool, mais que plusieurs facteurs de risque dépendraient de la séquence d’apparition entre trouble bipolaire et trouble lié à la consommation d’alcool. » nous explique le Dr Romain Icick, psychiatre et addictologue à l’hôpital Lariboisière - Fernand Widal (AP-HP).
Pour cela, l’équipe de chercheurs a analysé les données de 3027 patients suivis dans le réseau des Centres Experts FondaMental Troubles Bipolaires (FACE-BD). Parmi cet échantillon, 269 patients ont daté leur trouble bipolaire avant le TLUA et 276 ont daté leur TLUA avant le trouble bipolaire ou apparaissant la même année.
Une sévérité clinique plus importante
La principale constatation était que les personnes avec un trouble bipolaire et un trouble lié à la consommation d’alcool avaient un profil clinique plus sévère dans les principaux domaines ayant un impact sur le fonctionnement quotidien et le pronostic du trouble bipolaire, parmi lesquels la charge des symptômes, les troubles anxieux comorbides, le trouble lié à la consommation de drogues, ou le traumatisme précoce.
Ces observations font écho aux résultats de la littérature qui soulignaient déjà la nécessité de concevoir des soins ciblés et plus intensifs pour les personnes présentant simultanément un trouble bipolaire et un TLUA.
Il a également été constaté que le fait d’avoir débuté un TLUA avant le trouble bipolaire était indépendamment associé à une fréquence plus élevée des problèmes de cannabis et à un plus grand nombre d’épisodes (hypo)maniques ou mixtes par année de maladie bipolaire.
Des stratégies de prévention pour prévenir le risque de comorbidité
« À notre connaissance, il s’agit de la plus grande étude publiée à ce jour évaluant les facteurs de risque d’apparition relatifs au trouble bipolaire et au TLUA, mais nos interprétations sont limitées par notre méthodologie rétrospective et transversale », précise le Dr Romain Icick.
Les résultats de cette étude concluent que la sévérité accrue du trouble bipolaire avec TLUA ne diffère pas selon l’ordre d’apparition des troubles. Cependant, des éléments cliniques associés au fait de débuter un TLUA avant un trouble bipolaire indiquent une trajectoire différente.
Pour le Dr Icick, « la portée de ces résultats est double : (i) au plan clinique, ils confirment que les cliniciens doivent envisager des soins intensifs pour tous les patients présentant un trouble bipolaire avec un trouble lié à la consommation d’alcool, sans trop se concentrer sur leur séquence d’apparition et (ii) au plan recherche, les différentes trajectoires associées à cette séquence d’apparition ouvrent des perspectives de recherche clinique, neuropsychologique et génétique. »
De même, lorsque l’on considère la consommation d’alcool chez les jeunes personnes vivant avec un trouble bipolaire, qui n’ont peut-être pas encore développé de TLUA, l’abstinence totale d’alcool (et éventuellement d’autres substances addictives) doit être envisagée pendant la phase de stabilisation du traitement.
Des stratégies similaires de prévention devraient également être développées afin de réduire le risque de développer un trouble bipolaire chez les personnes consommant de l’alcool et présentant des symptômes avant-coureurs du trouble bipolaire.
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(1) Blanco C. et al. Journal of Psychiatric Research. 2017 ; 84, 310–317