Fruit de la collaboration entre des équipes de recherche clinique et fondamentale françaises et canadiennes, cette étude a permis d’identifier la protéine Elk-1 comme marqueur de pronostic des dépressions résistantes aux traitements classiques, et comme cible de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Explications complémentaires d’Eleni Tzavara (directrice de recherche Inserm, Neurosciences Paris Seine, IBPS - Inserm-CNRS-Sorbonne Université) et du Dr Raoul Belzeaux (psychiatre au sein de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, chercheur à l’Institut des Neurosciences de la Timone, Aix-Marseille Université).
Quel était l’objectif de votre travail de recherche?
Raoul Belzeaux: «La dépression est la maladie psychiatrique la plus fréquente et son pronostic peut être sévère. Dans un tiers des cas, les patients ne répondent pas aux traitements, ce qui peut entraîner une évolution chronique et des complications (risques de rechutes, troubles de l’attention, de la mémoire, risque de suicide, problèmes cardiovasculaires). L’identification de nouvelles stratégies thérapeutiques est donc un enjeu de tout premier ordre, en particulier pour les patients présentant une dépression chronique et résistante aux traitements standards.»
Comment avez-vous travaillé?
Eleni Tzavara: «Nous avons voulu mettre en parallèle des études chez l’homme et des études sur les modèles animaux. Deux études cliniques ont été conduites, l’une à Montréal, l’autre à Marseille, sur des patients souffrant de dépression. Nous avons suivi l’évolution des symptômes dans le temps en réalisant des mesures biologiques dans le sang. Cela nous a permis de démontrer l’implication d’une protéine (le facteur de transcription Elk-1) dans le pronostic et la réponse au traitement. Nous avons confirmé ces résultats en analysant des tissus cérébraux post-mortem de personnes décédées de cause naturelles et de personnes décédées par suicide au cours d’une dépression. Enfin, nous avons observé les mêmes résultats chez des modèles animaux et testé en préclinique l’efficacité d’un nouveau traitement.»
Elk-1 est fortement exprimé dans le gyrus denté de l’hippocampe. Co-détection des ARNm elk1 (rouge) et vglut1 (vert) ; marquage nucléaire DAPI (bleu), coupe coronale de souris; copyright: Sylvie Dumas, Oramacell, Paris, France»
«Ces travaux sont un premier pas vers un suivi plus personnalisé des patients». Dr Raoul Belzeaux
Quelles perspectives offrent vos travaux dans le suivi et la prise en charge de la dépression?
Raoul Belzeaux: «Il va nous falloir poursuivre nos recherches avant que des traductions concrètes en pratique clinique soient mises en oeuvre. Toutefois, ces résultats sont un premier pas vers un suivi plus personnalisé des patients. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’outils nous permettant de prédire la réponse d’un patient aux traitements. La protéine Elk-1 est un marqueur sanguin très facile à suivre au cours du temps. Ainsi, une simple prise de sang pourrait nous donner des indications précieuses pour choisir le traitement et éviter l’échec thérapeutique.»
«Nous avons identifié une stratégie thérapeutique qui agit «au coeur» de la dépression». Eleni Tzavara
Eleni Tzavara: «Ces résultats nous ont aussi permis d’identifier une nouvelle piste thérapeutique dont le mode d’action est très différent des traitements antidépresseurs classiques. En effet, là où les antidépresseurs habituels agissent à l’extérieur de la cellule pour modifier l’information qui arrive à cette dernière, l’inhibiteur de Elk-1 agit à l’intérieur de la cellule pour modifier la façon dont l’information est traitée. C’est une grande nouveauté concernant le mécanisme d’action d’un traitement et une source de grands espoirs à l’avenir.»
Quelles suites souhaitez-vous donner à ce travail?
Raoul Belzeaux: «Nous souhaitons approfondir notre compréhension des mécanismes de la dépression et de ce qui provoque ce dérèglement biologique.»
Eleni Tzavara: «Nous aimerions également que ces résultats débouchent sur la découverte d’un nouveau traitement disponible en pratique clinique.»
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Nature Medicine, 7 May 2018
Antidepressive effects of targeting ELK-1 signal transduction
K Apazoglou, S Farley, V Gorgievski, R Belzeaux, JP Lopez, J Grenier, EC Ibrahim, MA El Khoury, YC Tse, R Mongredien, A Barbé, CE Antunes de Macedo, W Jaworski, A Bochereau, A Orrico, E Isingrini, C Guinaudie, L Mikasova, F Louis, S Gautron, L Groc, C Massaad, F Yildirim, V Vialou, S Dumas, F Marti, N Mechawar, E Morice, TP Wong, J Caboche, G Turecki, B Giros and ET Tzavara
Ce travail a été dirigé par Eleni Tzavara (Directeur de Recherche Inserm, Neurosciences Paris Seine, IBPS (Inserm-CNRS-Sorbonne Université), membre du réseau FondaMental), en collaboration avec une équipe de recherche translationnelle en psychiatrie à Marseille sous la responsabilité de Raoul Belzeaux (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille / Institut de Neurosciences de la Timone (Aix-Marseille Université/CNRS), membre du réseau FondaMental) et une équipe franco-canadienne sous la responsabilité de Bruno Giros (Chaire de Recherche du Canada à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas (Université McGill), et Directeur de Recherche CNRS, membre du réseau FondaMental).