Point Recherche : Philippe Courtet
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Point recherche | Philippe COURTET

Publié le 15 octobre 2024

Philippe Courtet, Professeur de Psychiatrie, Université Montpellier, Responsable de la Chaire de Prévention du suicide de la Fondation Fondamental. 

Prévention du suicide : vers une détection précoce grâce à l’IA 

Cette étude explore comment l’intelligence artificielle (IA) peut aider à détecter les pensées suicidaires (ou l’idéation suicidaire) grâce à des questionnaires remplis par des utilisateurs sur l’application EMMA. L’objectif est de fournir une intervention immédiate aux personnes présentant un risque élevé de suicide identifié par leurs données déclaratives.

Le suicide, qui cause plus de 700 000 décès par an dans le monde, reste difficile à prévenir malgré les nombreux efforts entrepris. Une solution potentielle est l’utilisation de plateformes mobiles pour évaluer en temps réel le risque de suicide via des auto-évaluations, un processus appelé « évaluation mentale écologique instantanée » (EMA). L’application EMMA permet aux utilisateurs à risque de répondre à des questionnaires sur leur bien-être, leur douleur psychologique, et d’autres facteurs clés liés à l’idéation suicidaire. En cas de danger imminent, des interventions peuvent être proposées via l’application, comme des séances de méditation ou des contacts d’urgence.

L’une des difficultés majeures rencontrées dans l’analyse de ces données est leur caractère irrégulier et incomplet, car les utilisateurs ne remplissent pas toujours les questionnaires à des intervalles réguliers. Pour pallier cela, les chercheurs ont utilisé des algorithmes d’imputation de valeurs manquantes basés sur l’intelligence artificielle. Trois algorithmes ont été comparés : 

  • BRITS, un réseau récurrent ; 
  • Transformer, basé sur des modèles génératifs ; 
  • SAITS, basé sur l’attention.

Ces modèles tentent de combler les lacunes dans les données, en se basant sur les réponses précédentes et les réponses aux autres questions. Cependant, ces approches s’attaquent à un problème plus général : imputer les réponses manquantes aux questions auxquelles le patient n’a pas répondu. Nous pensons qu’un meilleur modèle d’imputation pour la variable étudiée, à savoir le niveau d’idéation suicidaire autodéclaré, peut être développé si l’apprentissage de ces algorithmes est axé spécifiquement sur cette variable. Par conséquent, dans cette étude, nous proposons également des variantes de ces algorithmes adaptées pour imputer avec précision les niveaux d’idéation suicidaire. Ces algorithmes modifiés sont respectivement appelés mBRITS, mTransformer et mSAITS.

Des premiers résultats scientifiques porteurs d’espoir 

L’étude a analysé les réponses de 89 participants, recrutés dans plusieurs centres hospitalo-universitaires en France, ayant récemment fait une tentative de suicide ou souffrant de pensées suicidaires. Les participants ont répondu à une série de questionnaires de façon quotidienne, hebdomadaire, et mensuelle. En moyenne, chaque participant a soumis environ huit questionnaires par mois, avec des taux de complétion variant selon les types de questions.

L’un des algorithmes modifiés (mSAITS) a obtenu les résultats les plus fiables en détectant des niveaux élevés d’idéation suicidaire avec une précision de 80,4 % pour le jour même, et de 76,9 % pour une prédiction trois jours à l’avance. En termes de détection précoce, les réponses sur la douleur psychologique, le bien-être, l’agitation et les relations sociales se sont révélées les plus pertinentes. Ainsi, ces éléments permettent de mieux comprendre et anticiper les fluctuations des pensées suicidaires.

Cependant, cette étude reste limitée par la taille de son échantillon (89 participants) et le nombre important de données manquantes (questionnaires non renseignés par les patients), un défi majeur pour la précision des modèles. Néanmoins, ces résultats montrent que les technologies mobiles combinées à l’IA peuvent améliorer la détection précoce des comportements suicidaires. Cela permettrait d’intervenir plus efficacement auprès des personnes à risque en temps réel. Cette étude pilote montre que les plateformes de prévention du suicide sur smartphones et soutenues par des algorithmes d’intelligence artificielle représentent une approche prometteuse pour détecter et prévenir les comportements suicidaires.

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