Interview avec Pawel Swieboda, Président de demosEUROPA – Centre pour la stratégie européenne.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la table ronde OCDE-EBRAINS-HBP qui a eu lieu en ligne le vendredi 28 janvier 2022 ?
Organisée à l’initiative de l’OCDE, EBRAINS et Human Brain Project, cette discussion sur la nouvelle initiative européenne pour le cerveau a réuni un certain nombre d’acteurs clés au niveau européen et mondial, de la présidence française de l’UE à la Commission européenne en passant par l’OMS, la Fondation FondaMental et le Conseil européen du cerveau. Première conclusion : le cerveau et les questions liées au cerveau occupent un rôle central dans la vie de nos sociétés. Et ce constat est partagé par un nombre croissant de décideurs. À nous de faire en sorte que cela soit pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques européennes. Comment ? En nous coordonnant pour que la santé du cerveau joue un rôle prépondérant dans l’Union européenne de la santé, mais aussi pour augmenter le financement de la recherche sur le cerveau et créer un meilleur écosystème pour les neurotechnologies et les technologies inspirées du cerveau.
C’est donc le moment de se mobiliser davantage en faveur de la santé cérébrale. Y-a-t-il eu un effet d’accélérateur lié au vieillissement de la population et à la crise sanitaire ?
En 2021, plus de 21 millions de personnes dans les pays membres de l’OCDE vivaient avec une forme de démence sénile. C’est l’une des principales causes d’invalidité chez les personnes âgées. Et ce chiffre va probablement augmenter dans les années à venir avec le vieillissement de la population. Une personne sur deux souffre de mauvaise santé mentale à un moment de sa vie, et les coûts directs et indirects de ce phénomène peuvent dépasser 4 % du PIB. De plus, depuis mars 2020, il y a eu une forte augmentation des troubles de l’anxiété et de la dépression dans la population des pays de l’OCDE avec des hausses spectaculaires lors des pics de décès liés à la COVID-19 et pendant les périodes de confinement strict.
La pandémie, plus que tout autre événement récent, a mis en évidence l’importance de la santé mentale. C’est donc le moment d’en tirer des conclusions et de se préparer pour affronter des situations similaires dans le futur. D’autant plus que la pression qui a pesé sur les systèmes de santé publique a contribué à ouvrir les yeux des décideurs politiques et que la stigmatisation de la santé mentale est en net recul : les gens s’en préoccupent davantage et n’hésitent plus à en parler.
Enfin, je crois que nous sommes désormais plus conscients des bienfaits qu’il y a à rester actif sur le plan cognitif tout au long de la vie. Une bonne santé cérébrale est indispensable au bien-être des individus comme à celui de la société dans son ensemble.
On comprend donc pourquoi la notion de « Brain Capital » a occupé un rôle central dans les discussions de cette table ronde. En quoi peut-elle contribuer à améliorer les politiques publiques au niveau européen ?
La notion de « Brain Capital » souligne le rôle essentiel du cerveau dans tous les aspects de notre vie publique. On peut penser à l’importance des compétences sur le lieu de travail ou à l’éducation. Et pourtant, la notion de « Brain Capital » n’est prise en compte par aucune mesure existante du produit intérieur brut (PIB).
L’idée c’est donc de fournir aux décideurs une boîte à outils plus complète et davantage d’informations sur la manière dont nos politiques devraient être conçues pour tirer le meilleur parti du potentiel cognitif de chacun. Dans l’éducation, par exemple, les dernières découvertes des neurosciences pourraient aider à composer les programmes ou à définir les méthodes d’apprentissage. Quant à la santé du cerveau, elle gagnerait là aussi à être davantage prise en compte dans les politiques de santé publique. Nous savons, par exemple, que les premiers signes de maladies dégénératives peuvent se manifester des années avant l’apparition des symptômes. Pourquoi ne pas surveiller l’état de santé du cerveau des patients afin de mettre en place des interventions préventives plus précoces ?
Vous avez déclaré vouloir faire de la santé du cerveau une priorité absolue en Europe. Qu’avez-vous à l’esprit ?
Tout d’abord, nous voudrions établir un pilier dédié à la santé du cerveau au sein de l’Union européenne de la santé. Le financement de la recherche étant le nerf de la guerre, nous devons nous coordonner pour bien identifier les besoins stratégiques dans la perspective des futurs appels à projet européens du programme Horizon Europe. À plus long terme et pour avoir accès à davantage de financements et de visibilité, il serait intéressant qu’une « Mission Cerveau » figure dans le prochain programme-cadre, à l’instar de la « Mission Cancer » aujourd’hui.
Il est également essentiel d’aligner les programmes de recherche des différents États-membres, afin de créer une véritable synergie en faveur de la santé du cerveau. Ajouté aux efforts de la Commission européenne cela permettrait un développement rapide des infrastructures de recherche et de collecte de données sur la santé cérébrale en Europe avec, par exemple, un Centre de connaissances sur le Cerveau afin d’alimenter les décideurs politiques sur le modèle du Centre de connaissances de la Commission européenne sur le Cancer.
Vous avez évoqué les données sur la santé cérébrale. Est-ce un enjeu européen ?
Tout à fait. Ce serait un grand pas pour la recherche si nous pouvions avoir accès aux données sur la santé cérébrale de toute l’Europe. Jusqu’ici nous n’avons pas pu travailler sur des bases de données suffisamment larges. C’est pourquoi nous soutenons le projet de création d’un espace européen des données de santé qui permettrait de répondre aux besoins des chercheurs tout en veillant à ce que la sécurité, l’échange et la gouvernance des données continuent de bénéficier d’une protection de haut niveau.
Un mot sur les prochains rendez-vous ?
Suite au succès de cette première table ronde, nous avons prévu de nous réunir trois fois encore en 2022 pour évoquer successivement les données, l’alignement des programmes de recherche et enfin les neurotechnologies. Les planètes sont alignées : c’est le moment de se mobiliser et nous comptons sur la présidence européenne de la France pour donner à l’initiative européenne pour le cerveau l’impulsion politique qui fera la différence.