"La génétique nous aide à comprendre les mécanismes à l’origine des troubles mentaux, ouvrant ainsi la voie à de meilleurs traitements".
Interview avec Ole Andreassen, professeur de psychiatrie et directeur du Centre norvégien de recherche sur les troubles mentaux, Institut de médecine clinique de l’Université d’Oslo.
Pr. Andreassen, vous avez reçu le prix de la recherche de l’université d’Oslo en 2020 pour vos travaux sur l’architecture génétique des troubles mentaux. Que peut nous apprendre la génétique sur les troubles mentaux ?
Mes travaux portent effectivement sur l’architecture génétique des troubles mentaux, c’est-à-dire l’étude des variantes génétiques et de la manière dont elles influencent la susceptibilité d’un individu à développer des troubles mentaux. Les facteurs génétiques jouent un rôle important dans le développement de la plupart des troubles mentaux. Jusqu’à présent, nous avons identifié de nombreux variants génétiques ayant de faibles effets qui, ensemble, augmentent le risque de développer des troubles mentaux. Ces facteurs génétiques se retrouvent souvent dans plusieurs troubles mentaux différents, ce nous amène à repenser les limites diagnostiques affectant les soins cliniques. En outre, les récentes découvertes en génétique nous ont aidés à comprendre les mécanismes pathologiques à l’origine des troubles mentaux, ouvrant ainsi la voie à de meilleurs traitements.
Les troubles mentaux sont souvent perçus de manière négative, mais il est important de noter qu’ils sont également associés à des traits positifs : une personne souffrant d’un trouble bipolaire, par exemple, est plus susceptible d’être artiste ou d’exercer une profession créative. L’un des peintres les plus célèbres du XIXe siècle, Van Gogh, souffrait probablement de troubles bipolaires. En prenant en considération la multitude de traits, tant positifs que négatifs, qui sont associés aux troubles mentaux, nous pourrons peut-être briser les stéréotypes sur les personnes souffrant de maladies mentales et surmonter les préjugés, ce qui est crucial pour améliorer leur qualité de vie.
Les facteurs environnementaux influencent-ils l’expression des gènes ?
Nous ne connaissons pas encore les détails de l’interaction entre les gènes et l’environnement, mais nous savons que les troubles mentaux ne sont pas uniquement dus à des facteurs génétiques. Les facteurs environnementaux jouent également un rôle, et ont une plus grande influence sur certains troubles mentaux comme la dépression. Globalement, une personne peut avoir une susceptibilité innée aux troubles mentaux, qui peut ou non être déclenchée par un facteur de stress qui lui fait franchir ce seuil. Par exemple, des études animales ont montré que les soins prodigués par les mères à leurs bébés semblent influencer la réaction de la progéniture au stress. Nous supposons que le même processus se produit chez les humains : si l’environnement dans lequel un enfant grandit est instable, il peut en résulter des conséquences psychiatriques. L’enfance et le début de l’adolescence sont particulièrement importants, car l’âge d’apparition de la plupart des troubles mentaux se situe entre 15 et 25 ans. Nous devons sensibiliser aux facteurs de risque des troubles mentaux, comme nous l’avons fait pour l’hypercholestérolémie comme facteur de risque des maladies cardiovasculaires.
Cependant, s’il existe des facteurs qui peuvent augmenter le risque de développer des troubles mentaux, il est alors logique que d’autres facteurs permettent de réduire ce risque. Grandir dans un environnement sûr au sein de la famille et à l’école, avoir une alimentation saine et pratiquer une activité physique régulière peuvent améliorer la qualité de vie en général et sont considérés comme des facteurs de résilience contre la susceptibilité aux troubles mentaux, en particulier pendant la période critique du début de l’adolescence.
Cela remet-il en question la séparation entre troubles mentaux et troubles somatiques en psychiatrie ?
L’association entre les troubles mentaux et les maladies somatiques résulte d’une interaction complexe entre la génétique, le mode de vie et les traitements. Tout d’abord, il existe des associations directes entre les maladies somatiques et les troubles mentaux au niveau génétique. Malheureusement, ces facteurs de risque innés pour les maladies somatiques, associés aux effets secondaires des traitements et à un mode de vie malsain, ainsi qu’à la difficulté pour les patients psychiatriques d’accéder à des soins de santé appropriés, réduisent l’espérance de vie des personnes souffrant de troubles mentaux de 10 à 15 ans par rapport à la population générale. Par ailleurs, il est impossible de séparer le corps et le cerveau. Votre mode de vie est déterminé par votre comportement, qui est contrôlé par le cerveau : ce que vous mangez, ce que vous buvez, comment vous faites de l’exercice. Cela pourrait expliquer en partie l’association entre les troubles mentaux et les maladies somatiques. Enfin, si certains de ces facteurs peuvent être causés par la maladie, d’autres peuvent être induits par un effet secondaire du traitement. Par exemple, nous savons que certains médicaments utilisés pour traiter la schizophrénie augmentent l’appétit et peuvent conduire à l’obésité.
Que peut apporter cette nouvelle approche au domaine de la psychiatrie ?
Les récentes avancées de la recherche en génétique peuvent être utilisées pour stratifier les patients en sous-groupes qui sont plus susceptibles de répondre à tel ou tel médicament. Elles peuvent également aider à prédire l’évolution des symptômes psychiatriques ou des troubles somatiques associés aux troubles psychiatriques.
Notre objectif est de développer la médecine de précision en psychiatrie, une approche innovante pour adapter les stratégies de prévention et de traitement des maladies mentales qui prend en compte les différences entre les gènes, les environnements et les modes de vie des individus. L’objectif de la médecine de précision est de cibler les bons traitements pour les bons patients au bon moment. La génétique peut prédire les effets secondaires possibles et aider à sélectionner le bon médicament pour chaque patient avant même qu’il ne commence le traitement. Actuellement, cela ne peut se faire que par tâtonnement, en testant différents médicaments pour voir lequel est efficace chez un patient donné, ce qui peut parfois conduire à un traitement inutile avec un médicament qui n’est peu ou pas efficace ou qui peut entraîner des effets secondaires indésirables.
Vous travaillez également sur la neuro-imagerie avec le consortium «ENIGMA» (Enhancing Neuro Imaging Genetics Through Meta Analysis). Que pensez-vous du travail de la Fondation FondaMental avec des cohortes nationales, en particulier de son travail à NeuroSpin, Saclay, sur la neuro-imagerie ?
La neuroimagerie nous permet de progresser dans notre compréhension des mécanismes des maladies mentales. Elle nous permet de repérer une multiplicité des petites anomalies dans le fonctionnement du cerveau des patients. Ces mécanismes cérébraux sont très complexes et impliquent de nombreuses variations cérébrales subtiles, qui sont associées à de nombreux gènes, chacun ayant son propre effet minime. Pour les identifier, nous devons avoir accès à de vastes cohortes comprenant des milliers de patients et de témoins. Cela n’est possible que grâce à la coopération internationale.
ENIGMA rassemble des chercheurs du monde entier pour étudier la structure, la fonction et les maladies du cerveau, sur la base de l’imagerie cérébrale et des données génétiques. Ce réseau nous permet de reproduire des études prometteuses à grande échelle et de partager des idées, des algorithmes, des données et des informations sur les études et les méthodes de recherche.
Outre l’échelle des études, il existe un autre facteur clé pour comprendre les mécanismes des troubles de la santé mentale : le suivi dans la durée. Les études longitudinales réalisées par la Fondation FondaMental dans ses Centres Experts sont déterminantes à cet égard.
ENIGMA rassemble des scientifiques du monde entier, avec des approches très différentes concernant les implications sociales, juridiques et éthiques des tests génétiques. Comment ce sujet est-il perçu en Norvège ?
Les données et la recherche génétiques doivent être rigoureusement contrôlées pour éviter les abus et protéger les patients. Comme dans l’Union Européenne, nous devons appliquer des règles très strictes en matière de protection des données au niveau mondial. En tant que chercheur, je suis très heureux de travailler dans un cadre permettant de garantir la sécurité des données nécessaires à chaque participant qui s’est porté volontaire pour contribuer à nos études. Notre défi consiste à trouver des procédures administratives efficaces pour exploiter les données de la recherche - ce qui devient plus facile à mesure que les différentes institutions s’habituent aux questions de protection des données.
Il est important de s’assurer que les tests génétiques bénéficient aux personnes atteintes de troubles mentaux. Il est probable que dans un avenir proche, les tests génétiques puissent améliorer la qualité de vie des patients en leur permettant de comprendre les mécanismes à l’origine de leurs symptômes et d’adapter le traitement à leurs besoins précis.
Comment voyez-vous l’évolution de la coopération internationale en psychiatrie dans les prochaines années ?
Le big data va changer la donne en matière de collaboration internationale dans le domaine de la recherche. D’une part, en nous aidant à faire de nouvelles découvertes et, d’autre part, en intégrant de nouveaux pays dans nos réseaux de recherche. Nous devons nous assurer que nos recherches ne se limitent pas à l’Europe et aux États-Unis, mais que nos études incluent les populations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Notre objectif pour les prochaines années est de reproduire nos études dans le monde entier, d’accroître la coopération internationale entre les chercheurs et de partager les méthodes et les connaissances afin qu’elles profitent à tous. Dans ce domaine, la France a de grandes opportunités.