« Il y a un potentiel d’innovation considérable en neurosciences, en rapprochant les expertises et en développant une culture de l’essai. »
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« Il y a un potentiel d’innovation considérable en neurosciences, en rapprochant les expertises et en développant une culture de l’essai. »

Publié le 15 mars 2023

Interview avec Alexis Genin, Directeur de l’innovation à l’Institut du Cerveau.

Quelle est la définition la plus juste d’une innovation ?

La définition la plus fréquemment utilisée de l’innovation la caractérise comme un processus créatif au service du développement de nouveaux produits ou services. C’est une définition plus restrictive que celle que l’on a souvent, qui est de « créer du neuf ». Une idée en soi n’est donc pas innovante, c’est sa concrétisation à travers un produit ou un service qui la fait devenir une innovation. 

Comment favorise-t-on l’innovation en neurosciences ? 

Tous les outils qui permettent la concrétisation d’une idée en produit ou service favorisent l’innovation. Tout d’abord, il faut savoir développer une culture de la prise de risque et de l’essai manqué. Il faut également, en étant encore au stade de la recherche, développer notre capacité à investir dans de simples idées puis mesurer leur capacité à se transformer en produit ou service à l’usage des patients ou des personnels de santé. 

En neurosciences, cela se traduit à la fois par un état d’esprit qui accepte l’échec comme partie intégrante du processus d’innovation, et par un environnement où se croisent des cultures très différentes, comme la recherche fondamentale qui permet une compréhension approfondie de la biologie, et l’ingénierie qui nourrit une culture de résolution de problèmes et de recherche de solutions. 

Quelles sont les principales innovations qui révolutionnent aujourd’hui les neurosciences ?

Les récents progrès de la recherche ont permis de visualiser de manière beaucoup plus précise le fonctionnement des réseaux de neurones, et de mieux comprendre la logique de système dans le fonctionnement du cerveau. Dans le domaine de l’innovation pour le patient, on tend aujourd’hui vers des approches beaucoup plus intégrées, dans lesquelles la technologie médicale, qui peut être un dispositif physique ou une application digitale, fait partie de la solution au même titre que le médicament. 

Cette approche multimodale d’intervention au service du patient doit également être personnalisée. Si la charge de preuve médicale exige des statistiques sur de larges échantillons de personnes pour prouver l’efficacité d’un produit, on constate de plus en plus un besoin de retrouver l’individualité de la personne malade et, face à cette individualité, de considérer l’ensemble des solutions qui peuvent l’aider à aller mieux. Des approches qui ont longtemps évolué dans des univers séparés comme les médicaments, la physiothérapie, les approches d’hygiène de vie et la technologie médicale, peuvent maintenant de plus en plus être combinées de différentes façons pour devenir des solutions adaptées à chaque patient. 

En parallèle, la recherche rend désormais possible une analyse en profondeur du profil de la personne malade grâce à des biomarqueurs. Ces biomarqueurs peuvent être des signaux biologiques détectables avec l’imagerie cérébrale ou par des tests sanguins, mais aussi des marqueurs cognitifs ou comportementaux. Ils permettent également de voir, dans ces grandes entités qu’on appelle « maladies », les nombreuses sous-entités distinctes qui les composent.  

Comment rendre ces innovations, issues de la recherche médicale, accessibles au plus vite et de la meilleure manière possible aux patients ? 

On pourrait parler de « culture du risque », mais ce terme n’est pas vraiment adapté car il ne s’agit pas de faire courir de risques à une personne malade, mais simplement de « prendre le risque » de ne pas avoir été efficace. Il serait plus juste de parler d’une culture de l’essai, à la recherche de solutions.

Pour accélérer l’innovation, il faut bien sûr réfléchir et tenter d’anticiper, mais aussi multiplier les tentatives puisque tout ne se prédit pas bien à l’avance. Dans ces conditions, le développement de la médecine de précision en neurosciences permet de chercher des solutions efficaces pour une petite partie des patients, qui constitueront des sous-groupes identifiables. En termes de méthodologie, la « culture de l’essai » fait réfléchir très tôt au passage vers la clinique, et à la façon d’avoir une première démonstration d’efficacité sur la personne malade. Tout cela ne peut se faire sans des levées de fonds rapides. 

Dans le domaine du digital spécifiquement, il est possible de mettre très rapidement entre les mains des utilisateurs des solutions sans qu’elles soient encore formellement validées par des essais cliniques. Le déploiement de ces études, dites « en vie réelle », doit permettre de valider l’utilité réelle des outils digitaux. C’est une approche très prometteuse car elle peut permettre de tester vite et avec des risques très limités des solutions, et de mesurer sur un large échantillon de personnes, l’impact positif que ces solutions peuvent avoir sur leur vie et sur leur maladie.

Comment passer le cap de la recherche préclinique ? 

Après la phase de recherche préclinique, l’innovation est proposée pour la première fois à des personnes, non malades ou malades. Cette phase demande différentes approches en fonction des domaines. 

Dans le domaine du médicament et des technologies médicales invasives, il est indispensable, pour passer le cap de la recherche préclinique, de démontrer que le potentiel produit ne risque pas de faire plus de mal que de bien, en particulier pour des questions de toxicité. Il faut également montrer qu’il y a un espoir d’efficacité, même si celle-ci est très difficile à prédire avec les modèles précliniques dont on dispose en neurosciences ; et c’est souvent en étude clinique qu’elle peut être démontrée. Pour permettre ce passage vers les essais cliniques, il faut donc absolument et en tout premier lieu que la sécurité de la personne malade soit assurée. 

C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’avoir très tôt, pour les porteurs de projets innovants, un accompagnement réglementaire. Celui-ci permet de faire la « carte d’identité » des risques potentiels du produit, de les prendre en compte et de les mesurer, et enfin de les lever. Dans d’autres domaines où le risque est moins présent, les approches centrées vers l’utilisateur permettent d’accélérer le développement de l’innovation. Elles permettent, pour les solutions digitales et technologiques, de coconcevoir le produit avec la personne qui l’utilisera. Cela permet de s’assurer que la solution répond bien aux besoins exprimés par la personne malade. 

Comment passer de la preuve de concept clinique à l’implémentation en pratique clinique ?

La preuve de concept clinique, qui se réalise dans les essais dits de « phase 2 », est un premier signal qui laisse penser que le médicament ou la technologie est efficace sur une personne malade. Ce n’est bien entendu pas suffisant pour le proposer à l’ensemble des malades. 

C’est pourquoi la phase 3 de la recherche a pour objectif de prouver l’efficacité du médicament ou du dispositif sur une large population, afin de demander une autorisation de mise sur le marché. Après la mise sur le marché, une dernière phase d’essai dite phase 4 étudie l’impact et l’efficacité en vie réelle du produit. Cela permet d’avoir une approche populationnelle de la technologie ou de la solution. 

Comment investir dans des projets risqués, sources d’innovations ? 

Il existe plusieurs leviers pour l’investissement, en fonction du rapport au risque. La logique du financier, et donc des banques d’investissement, est de s’assurer de la rentabilité de l’investissement. Pour cela, le risque doit être aussi anticipé et mesuré que possible, et le porteur de l’innovation doit démontrer qu’il peut cadrer et diminuer ce risque. C’est ce qui permet d’investir dans des projets risqués. 

Il existe une deuxième voie qui se développe de plus en plus, et qui est celle du philanthrope entrepreneur. Pour lui, la rentabilité n’est pas le premier sujet ; l’échec, y compris financier, est acceptable dans la mesure ou l’on fait progresser la recherche dans le but d’aider les personnes malades. Dans la logique du philanthrope entrepreneur, c’est l’impact de l’innovation qui est important. Entrepreneur malgré tout, il est aussi conscient des risques et a besoin de voir que ceux-ci sont anticipés, mesurés et levés pour obtenir des résultats à terme. 

Enfin, la force publique met à disposition de l’innovation des outils de financement de plus en plus nombreux dans les phases les plus risquées, pour diminuer les risques et permettre ensuite au financier de prendre le relai. Des efforts considérables sont faits dans ce sens, en particulier avec le plan France 2030 et les efforts de la Banque Publique d’Investissement. Ainsi, l’Etat accepte, désormais, de prendre en charge une part du risque issu de l’investissement dans les technologies en devenir.

Quelles synergies sont aujourd’hui mises en œuvre dans le domaine des neurosciences ? 

Historiquement, dans les neurosciences, des « écoles » ont existé : celle de la psychiatrie, celle de la neurologie, celle des organes des sens… Chacune a développé des outils et méthodes dans son propre domaine, mais sans que ceux-ci soient pleinement utilisés par les autres domaines. Il y a un potentiel d’innovation considérable en rapprochant les expertises de ces différents domaines pour avoir une sorte de « boite à outils » commune pour toutes les disciplines des neurosciences. 

Cela peut passer par l’identification de meilleurs marqueurs pour caractériser l’individualité de la personne malade et anticiper ce qui peut lui être utile, de nouvelles méthodes pour déployer des essais cliniques plus rapides et plus efficaces, ou encore de nouvelles idées sur la façon dont on peut combiner, avec cette multimodalité, des interventions médicamenteuses, technologiques et digitales pour atteindre une plus grande efficacité. 

Le potentiel de ces synergies est déjà illustré par la neuropsychiatrie, un domaine qui reprend, soit pour des pathologies psychiatriques, soit pour des pathologies neurologiques qui ont un aspect psychiatrique, des méthodes venant à la fois de la neurologie et de la psychiatrie. 

Quels outils le projet Brain & Mind propose-t-il pour soutenir et développer les investissements en psychiatrie ?

Le projet de bio-cluster « Brain & Mind » réunit des grands acteurs de la recherche en neurosciences : la Fondation FondaMental, l’Institut du Cerveau, l’Institut de la Vision et plus de 50 acteurs publics et privés en Ile-de-France, pour créer ensemble des outils permettant l’accélération de l’innovation en neurosciences. 

Le bio-cluster « Brain & Mind » développera des projets d’innovation d’envergure soutenus par des plateformes technologiques transdisciplinaires, en adoptant des stratégies d’atténuation des risques dès les premières étapes des projets afin de réduire les délais entre les phases de recherche et la mise à disposition auprès des personnes malades.

Ces stratégies s’appuieront sur trois piliers : tout d’abord, lever les risques en préclinique, afin de prouver le potentiel de la solution proposée ; ensuite, améliorer les méthodologies de recherche clinique et mettre en réseau les expertises ; enfin, capitaliser sur les synergies entre des personnes venant d’environnements très différentes, dans une approche de type living lab, pour construire les nouveaux parcours de soin de demain. 

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