«Est-ce que je prendrais moi-même des médicaments si j’avais une maladie psychiatrique à risque de rechute ?»
L’adhésion aux traitements médicamenteux est un enjeu important de la prise en charge des maladies chroniques, en particulier des troubles psychiatriques sévères. De nombreux travaux font en effet état d’une difficulté, chez les patients souffrant de troubles psychiatriques sévères, à suivre régulièrement leur traitement.
Comprendre les mécanismes associés à cette mauvaise observance, notamment ceux qui sont modifiables, pourrait permettre, à terme, d’améliorer le suivi des traitements.
L’originalité de la présente étude conduite par les équipes de la Fondation FondaMental et publiée dans Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry* a trait à son hypothèse. Cette étude répond à une question que sans doute de nombreuses personnes et plusieurs soignants travaillant en psychiatrie se sont déjà posés. Elle a cherché à évaluer dans quelle mesure les représentations sociales négatives des troubles psychiques et des traitements psychotropes pourraient expliquer une partie de la faible adhésion aux traitements médicamenteux.
Plus précisément, elle a évalué la propension de sujets en population générale (1807 sujets recrutés via une étude sur internet) à accepter de prendre un traitement médicamenteux s’ils étaient confrontés à une maladie chronique à expression somatique (ici une sclérose en plaques ou une polyarthrite rhumatoïde) ou psychiatrique (ici schizophrénie ou dépression récurrente).
Le Dr Fabrice Berna, psychiatre au CHU de Strasbourg, explique: «en pratique, les sujets étaient invités à imaginer qu’ils présentaient des symptômes d’une maladie chronique (parmi les 4 évoquées) et à décrire le stress et le stigma social qu’ils ressentiraient en ayant ces symptômes, le caractère estimé curable de cette maladie, leur croyance dans l’efficacité d’un traitement médicamenteux et dire ensuite ce qu’il préfèreraient prendre comme traitement (traitement médicamenteux classique, médecines complémentaires et alternatives, psychothérapie, soutien spirituel ou autre). Chaque sujet devait comparer une maladie à expression somatique et une maladie à expression psychiatrique. Le niveau de gravité des maladies était équilibré (en modulant la fréquence des rechutes et de l’intensité des symptômes au moment des épisodes).»
Ci-dessous, le Dr Berna, le Pr Llorca et le Dr Fond, trois des auteurs de l’étude.
La stigmatisation des maladies mentales, un frein à l’adhésion aux traitements
Les résultats montrent que les symptômes schizophréniques étaient considérés comme plus stressants, moins traitables, et associés à un stigma social plus important que les symptômes de maladie somatique chronique. De même, les sujets acceptaient moins facilement de prendre un traitement face à des symptômes de schizophrénie que face à des symptômes de maladie somatique.
Des tendances similaires étaient observés pour la dépression récurrente montrant que les stéréotypes sociaux sur les troubles psychiques et leur traitement ne se limitent pas à la schizophrénie.
Enfin, les facteurs qui expliquaient le plus la propension à accepter un traitement médicamenteux sont la croyance dans l’efficacité du traitement et le caractère estimé curable de la maladie, deux facteurs qui étaient significativement plus faibles pour les maladies psychiatriques comparés aux maladies somatiques.
La double peine des maladies psychiatriques: des traitements jugés inefficaces et des maladies considérées comme incurables. Dr Fabrice Berna
Cette étude souligne ainsi que les stéréotypes sociaux sur les troubles psychiatriques et leurs traitements peuvent en partie contribuer à la faible adhésion aux traitements observée chez les patients ayant ces maladies (et donc, que cette faible adhésion n’est pas seulement liée à des facteurs relatifs aux patients eux-mêmes ou à leur maladie).
Cette étude souligne là un autre enjeu des campagnes de sensibilisation sur les troubles psychiques auprès de la population générale car ces stéréotypes sociaux ont un impact sur l’accès aux soins et l’acceptation d’un traitement.
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Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry. 2017 Mar 22;77:155-163
Would I take antipsychotics, if I had psychotic symptoms? Examining determinants of the decision to take antipsychotics.
Berna F, Göritz AS, Llorca PM, Vidailhet P, Fond G, Moritz S.