Antoine Lefrere, Responsable du Centre Expert Bipolaire de l’APHM, chercheur à l’Institut de Neurosciences de La Timone (Aix-Marseille Université), membre de l’Alliance FondaMental.
Raoul Belzeaux, Professeur de psychiatrie CHU et Faculté de Médecine de Montpellier, membre de l’alliance FondaMental.
Bipolarités : une clé de compréhension
Les troubles bipolaires sont des troubles de l’humeur hétérogènes, marqués par une grande variété de symptômes et d’évolution d’un patient à l’autre. Grâce aux avancées de la recherche, la psychiatrie de précision identifie des sous-groupes homogènes de patients afin de proposer à chacun un traitement sur-mesure. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de développer de nouvelles méthodologies permettant de mieux identifier et catégoriser les patients en fonction des dérèglements que cause leur trouble sur leur organisme. Nous nous sommes donc concentrés dans cette étude sur les indicateurs du développement cérébral (neurodéveloppement) dans les troubles bipolaires, une piste particulièrement prometteuse.
Nous avons analysé les données de 4 421 patients issues de la base FACE-BD (FondaMental Advanced Centers of Expertise for Bipolar Disorders) pour définir un phénotype neurodéveloppemental, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques comportementales, associé à des particularités du neurodéveloppement chez certains patients atteints de troubles bipolaires.
En utilisant une approche combinant analyse factorielle et clustering (deux méthodes utilisant des algorithmes pour identifier et regrouper des données similaires) sur 14 critères neurodéveloppementales, 9 se sont révélés caractéristiques.
Ces critères incluent des facteurs de risques précoce comme un âge parental avancé à la naissance, des traumatismes de l’enfance, ou des comorbidités psychiatriques précoces comme des troubles spécifiques des apprentissages, l’hyperactivité avec trouble déficitaire de l’attention (TDAH), l’addiction à l’usage de substances, les troubles anxieux, les troubles du comportement alimentaire (TCA), et un âge de début précoce du trouble bipolaire.
Vers une stratégie trans-diagnostique dans les maladies psychiatriques ?
Ainsi, nous avons démontré qu’une prévalence élevée de ces critères chez un patient était associée à :
Des facteurs de mauvais pronostiques, comme une plus grande sévérité du trouble bipolaire,
Une augmentation de signes neurologiques mineurs comme des troubles légers de la coordination ou de motricité fine,
Une vulnérabilité génétique commune avec le TDAH,
Une réponse moins favorable au lithium, traitement de référence pour le trouble bipolaire.
Ces résultats permettent de mieux identifier ce sous-groupe de patients et de leur proposer une prise en charge adaptée. En définissant le phénotype neurodéveloppemental dans le trouble bipolaire, cette étude offre un outil de catégorisation solide, facilement utilisable par les médecins en clinique et par les chercheurs en psychiatrie.
À l’avenir, cette approche pourrait être étendue à d’autres pathologies, pour identifier ces caractéristiques neurodéveloppementales dans d’autres troubles psychiatriques. Le programme PEPR ProPSY (programme projet en psychiatrie de précision) pourrait répondre à cet enjeu en étudiant les liens entre le neurodéveloppement et différentes maladies mentales dans une vaste cohorte de patients. Ce projet permettra d’approfondir notre compréhension du développement du cerveau, de confirmer l’hypothèse d’une variable neurodéveloppementale dans les maladies mentales et de développer de nouveaux traitements thérapeutiques plus personnalisés et adaptés à chaque patient.
Cette étude a été réalisée dans le cadre du Prix FACE 2021 de la Fondation FondaMental, soutenu par Boehringer Ingelheim. Elle a été menée en collaboration avec Ophélia Godin (INSERM, Université Paris Est Créteil), Yecodji Dansou (Fondation FondaMental), Stéphane Jamain (INSERM, Université Paris Est Créteil), ainsi qu’avec l’aide des collaborateurs du réseau FACE (Fondamental Advanced Centers of Expertise) et de partenaires internationaux.