Ana Andreazza, Pharm, PhD, professeur à l’Université de Toronto, Directrice scientifique de MITO2i.
Le trouble bipolaire (TB) est un trouble mental chronique caractérisé par des sautes d’humeur extrêmes, notamment des hauts et des bas émotionnels (phases de manie et de dépression). Les personnes atteintes de trouble bipolaire présentent souvent un risque accru de développer un syndrome métabolique qui comprend une hypertension artérielle, une hyperglycémie, un excès de graisse corporelle autour de la taille et des taux anormaux de cholestérol ou de triglycérides.
Le syndrome métabolique augmente le risque de maladie cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et de diabète.
Notre étude a porté sur les biomarqueurs sanguins mitochondriaux, des substances mesurables dans le corps qui indiquent la santé ou le fonctionnement des mitochondries, les structures des cellules responsables de la production d’énergie. Elle vise à déterminer si certains biomarqueurs sanguins mitochondriaux, comme le lactate, sont associés aux marqueurs du syndrome métabolique chez les patients atteints de trouble bipolaire. Plus précisément, nous avons ont émis l’hypothèse que les patients atteints de troubles bipolaires qui souffrent également du syndrome métabolique présenteraient des niveaux plus élevés de lactate, un sous-produit du métabolisme des mitochondries, mais des niveaux inchangés d’ADN mitochondrial circulant sans cellules qui est un marqueur du stress mitochondrial.
Notre recherche a été menée dans deux cohortes de patients de la Fondation FondaMental, en France. La cohorte principale, connue sous le nom de FACE-BD (FondaMental advanced Center of expertise for bipolar patients), est la première cohorte mise en place sur le territoire national permettant un bilan approfondi et un suivi à long terme des personnes atteintes de troubles bipolaires. Au moment de l’étude, elle comprenait 837 patients atteints de trouble bipolaire stable et suivis en Centre Expert FondaMental. La cohorte de validation, I-GIVE, également créée et financée par la Fondation FondaMental avec l’Agence Nationale de la Recherche, l’INSERM, comprenait 237 participants, dont des patients atteints de troubles bipolaires ou de schizophrénie stable ou en phase aigüe, et des témoins
L’étude a ainsi révélé que des niveaux élevés de lactate étaient significativement associés au syndrome métabolique chez les patients atteints de trouble bipolaire. Cette association est restée significative même après avoir pris en compte d’autres facteurs confondants. Nos analyses ont également révélé que les niveaux de lactate étaient significativement associés aux triglycérides, à la glycémie à jeun et à la pression artérielle systolique et diastolique.
En examinant spécifiquement le métabolisme des mitochondries (on parle de métabolomique), nous avons identifié des profils métaboliques distincts chez les patients présentant des niveaux de lactate élevés et un syndrome métabolique. Ces profils diffèrent de ceux des patients qui présentaient un syndrome métabolique mais aucun changement dans les niveaux de lactate. Enfin, contrairement au lactate, les niveaux d’ADN mitochondrial circulant (ccf-mtDNA) n’étaient pas associés au syndrome métabolique chez les patients atteints de trouble bipolaire.
L’étude met en évidence le potentiel du lactate comme biomarqueur pour identifier les patients atteints de trouble bipolaire à risque de développer un syndrome métabolique. Cette découverte est importante pour plusieurs raisons. Elle nous permet tout d’abord de mieux comprendre les profils métaboliques des patients atteints de trouble bipolaire, et ainsi de pouvoir mieux prévenir, diagnostiquer et prendre en charge les personnes à risque de syndrome métabolique. Elle est également un pas supplémentaire vers la médecine de précision en psychiatrie : en ciblant des anomalies métaboliques spécifiques, nous pourrons développer des approches thérapeutiques personnalisées pour chaque patient et ainsi améliorer leur santé physique et mentale.
Les prochaines recherches devraient se concentrer sur la validation de ces résultats dans des populations plus larges et plus diversifiées. De plus, l’exploration des mécanismes sous-jacents qui lient le lactate et le syndrome métabolique dans le trouble bipolaire pourrait fournir des informations plus approfondies sur la maladie et sa gestion.
En conclusion, l’étude souligne l’importance du lactate comme biomarqueur potentiel du syndrome métabolique chez les patients atteints de trouble bipolaire. Cela pourrait ouvrir la voie à des stratégies de traitement plus personnalisées et plus efficaces, améliorant ainsi la qualité de vie des personnes atteintes de trouble bipolaire.