
Les mitochondries au cœur des dérégulations métaboliques et inflammatoires dans les troubles bipolaires
Jérémy Bernard, Doctorant dans le laboratoire Neuro Psychiatrie Translationnel (Inserm et Université Paris-Est Créteil) et à l’université de Toronto et membre de la fondation FondaMental.
Pr Marion Leboyer, psychiatre à l’hôpital Henri Mondor à Créteil (Université Paris Est Créteil et AP-HP), directeur du laboratoire Neuro Psychiatrie Translationnel, (Inserm) et Directrice Générale de la Fondation FondaMental.
Le rôle des mitochondries dans les troubles bipolaires
Les troubles bipolaires touchent environ 1 à 2 % de la population générale. Leur apparition résulte en grande partie de facteurs génétiques interagissant continuellement avec l’environnement, tels que l’exposition à des traumatismes, à des substances comme le cannabis, à des infections ou encore à des polluants. Ces interactions altèrent le fonctionnement normal des cellules, provoquant des modifications énergétiques. Dans le cerveau, elles perturbent les neurones et leurs réseaux, entraînant ainsi des fluctuations de l’humeur.
Au cœur de nos cellules, les mitochondries sont des micro-organismes présents en milliers d’exemplaires. Elles permettent la production d’énergie, la régulation du métabolisme ainsi que la modulation du système immunitaire : trois fonctions altérées dans les troubles bipolaires.
Notre étude présente une revue de la littérature scientifique décrivant les anomalies mitochondriales observées chez les patients atteints de troubles bipolaires et propose une hypothèse selon laquelle les mitochondries joueraient un rôle central dans les troubles bipolaires. En complément, nous avons exploré les perspectives diagnostiques et thérapeutiques qui pourraient s’ouvrir à nous.
Le dérèglement du métabolisme dans les troubles bipolaires, une maladie de la production de l’énergie cellulaire
Dans un premier temps, nous avons souligné que les patients ayant des troubles bipolaires sont plus susceptibles de développer des maladies inflammatoires et auto-immunes. Environ la moitié des patients avec un trouble bipolaire présentent une hyperactivation des cellules immunitaires du cerveau, mises en évidence par l’imagerie cérébrale, ainsi des niveaux élevés de molécules pro-inflammatoires dans le sang ou le liquide cérébrospinal.
Par ailleurs, les patients atteints de troubles bipolaires ont un risque accru de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et d’accidents vasculaires cérébraux (AVC). Ce lien s’expliquerait par des mécanismes communs entre ces maladies et les troubles psychiatriques, impliquant un métabolisme altéré et une inflammation accrue.
Par exemple, le métabolisme du glucose et des lipides varie selon les phases de la maladie : il est réduit en phase dépressive et augmenté en phase maniaque. Étant donné que la production d’énergie dépend du métabolisme, elle est également impactée et suit le même schéma.
Les anomalies mitochondriales dans les troubles bipolaires
Les anomalies mitochondriales ont été décrites pour la première fois dans les années 1930 dans la schizophrénie. Dans les troubles bipolaires, on observe une diminution du nombre de mitochondries ainsi que des différences de structure et de localisation par rapport aux patients sains.
Les mitochondries ont la particularité d’avoir leur propre ADN. Cet ADN communique avec l’ADN du noyau de la cellule et permet de produire des protéines essentielles aux fonctions mitochondriales. Avec les milliers de copies présentes dans chaque cellule, les mutations survenant dans l’ADN peuvent se trouver dans certaines copies mais pas dans d’autres. Ce phénomène est appelé hétéroplasmie et pourrait expliquer l’hétérogénéité des symptômes des patients bipolaires.
Pour mieux comprendre les variations des mécanismes altérés, et donc la diversité des symptômes, nous avons proposé un modèle théorique faisant le lien entre les anomalies mitochondriales, métaboliques et inflammatoires. Dans ce modèle, ces trois éléments peuvent être vus soit comme une cause, soit une conséquence du trouble bipolaire. Par exemple, les infections déclenchent une réponse immunitaire de défense, mais elles peuvent également entraîner une reprogrammation du métabolisme pour transformer la production d’énergie mitochondriale à leur avantage.
Identifier des sous-groupes de patients pour mieux traiter
Ce travail complexe ouvre des perspectives diagnostiques et thérapeutiques en proposant que certains marqueurs mitochondriaux sanguins comme la mesure du lactate pourraient servir pour identifier les patients atteints de troubles bipolaires ayant des anomalies mitochondriales. Cela nous permettrait de les traiter spécifiquement avec une molécule adaptée, comme la N-acétylcystéine qui améliore les fonctions mitochondriales et donc métaboliques et inflammatoires, et ainsi de réduire les symptômes du trouble bipolaire.