Faire progresser la psychiatrie de précision
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Faire progresser la psychiatrie de précision : Le consortium Royaume-Uni France vers un traitement personnalisé de la santé mentale

Publié le 10 mars 2025

Husseini Manji, Professeur à l’Université d’Oxford et co-président de la mission du gouvernement britannique sur la santé mentale « Mental Health Mission ». 

Pourriez-vous nous donner un aperçu du projet de consortium entre la France et le Royaume-Uni et de son rôle dans l’avancement de la recherche en psychiatrie de précision ? 

Les maladies mentales constituent un défi mondial majeur, affectant la santé, la prospérité économique et le bien-être social. Ces troubles commencent souvent pendant l’adolescence ou au début de l’âge adulte, c’est pourquoi ils sont qualifiés de « maladies chroniques des jeunes ». Les maladies mentales représentent un défi économique et de santé publique mondial. Selon l’OMS, les maladies mentales sont la principale cause de handicap dans le monde depuis 2020 (représentant actuellement cinq des dix principales causes dans le monde). Dans ce contexte, plus de 80 millions de citoyens européens, de tous âges, soit jusqu’à 18 % de la population générale, connaîtront au cours de leur vie une maladie mentale. 

Le traitement des maladies mentales est crucial, et bien qu’il y ait un besoin évident de meilleurs traitements, l’un des défis réside dans leur complexité. De nombreuses grandes entreprises pharmaceutiques hésitent à investir dans la santé mentale en raison de cette complexité. Tout d’abord, le cerveau n’est pas facilement accessible pour la réalisation d’études ; bien que nous disposions de techniques d’imagerie avancées, nous ne pouvons pas effectuer de biopsies comme nous le faisons pour d’autres organes. De plus, les maladies mentales impliquent souvent une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux, entrainant des sous-types de patients très divers. Par exemple, le trouble dépressif majeur inclut de nombreux sous-types de patients regroupés sous un seul diagnostic. L’approche actuelle consistant à traiter tous les patients de la même manière a prouvé son inefficacité, c’est pourquoi la médecine de précision — qui consiste à adapter les traitements en fonction des sous-types spécifiques de patients — offre un grand potentiel. Ce consortium Royaume-Uni/France vise à mieux comprendre ces troubles et à appliquer une approche de médecine de précision, similaire à ce qui a été fait en oncologie. En identifiant des marqueurs biologiques pour différents sous-types, nous pourrons offrir des traitements ciblés qui conduiront à de meilleurs résultats pour les patients. 

Le Royaume-Uni et la France sont tous deux des leaders mondiaux de la recherche sur les maladies psychiatriques. En collaborant et en réunissant les réseaux de 53 Centres Experts qui collaborent et sont coordonnés par la Fondation FondaMental avec des bases de données et des biobanques partagées en France, et 14 centres en Angleterre, nous sommes convaincus que nous pouvons accomplir davantage en collaborant qu’en agissant isolément. Combiner ressources, expertise et perspectives nous permettra de stimuler l’innovation en matière de recherche et de traitement, ce qu’aucune institution unique ne pourrait accomplir seule. Notre objectif est d’intégrer les données, les infrastructures et les financements pour améliorer les résultats pour les patients. La médecine de précision, où les traitements sont adaptés au profil génétique et biologique de chaque individu, nécessite une collaboration transfrontalière. Cette approche a déjà fait ses preuves dans des domaines comme l’oncologie et la maladie d’Alzheimer, où nous avons pu établir un lien entre des biomarqueurs et résultats cliniques. Nous espérons obtenir des résultats similaires en psychiatrie en combinant nos efforts. 

Pourquoi l’identification des biomarqueurs biologiques en psychiatrie est-elle cruciale, et comment cette approche peut-elle imiter les progrès réalisés en oncologie ou en recherche sur la maladie d’Alzheimer ? 

Pour illustrer la puissance de la médecine de précision, je vais utiliser des exemples issus de l’oncologie et de la maladie d’Alzheimer. L’oncologie est le domaine le plus avancé en termes de médecine de précision. Traditionnellement, les cancers étaient classés en fonction des symptômes ou des tissus affectés, comme le cancer du poumon, du sein ou du côlon. Cependant, les chercheurs s’intéressent désormais aux mécanismes biologiques à l’origine des cancers. Ce changement a transformé le traitement du cancer, permettant aux patients de vivre plus longtemps et en meilleure santé en recevant des traitements qui ciblent les causes biologiques sous-jacentes de leur cancer. 

De même, dans la maladie d’Alzheimer, nous avons appris que la maladie commence des années avant l’apparition des symptômes. En identifiant les biomarqueurs de manière précoce, nous pouvons intervenir avant que la démence ne s’installe. Grâce à la collaboration entre divers pays, les entreprises pharmaceutiques et les autorités de régulation, nous avons pu identifier des biomarqueurs qui prédisent l’apparition de la démence, ce qui a conduit au développement de traitements ralentissant la progression de la maladie. Rien de tout cela n’aurait été possible sans collaboration. Nous espérons qu’en appliquant des stratégies similaires à la santé mentale, nous pourrons identifier des biomarqueurs pour les maladies mentales et les utiliser pour développer des traitements plus efficaces. 

De quelle manière la division des troubles de l’humeur majeurs et des psychoses en sous-groupes homogènes peut-elle améliorer les essais cliniques et contribuer à réduire les coûts et les risques associés au développement de médicaments ? 

Le diagnostic en psychiatrie repose, à l’heure actuelle, uniquement sur l’observation d’une liste de symptômes cliniques. Cependant, nous pensons que la définition de ces catégories larges, telles que les troubles dépressifs majeurs, les schizophrénies ou les troubles bipolaires, est insuffisante. Tout comme l’hypertension peut avoir diverses causes, la dépression ou la psychose peuvent résulter de mécanismes biologiques différents. Certains patients peuvent souffrir de symptômes dépressifs en raison de problèmes de plasticité hippocampique, tandis que d’autres peuvent en souffrir en raison d’anomalies immunitaires. Comprendre ces sous-types est essentiel pour un traitement efficace. Cependant, si nous ciblons la cause biologique spécifique de la dépression d’un patient — qu’elle soit liée au système immunitaire ou à un dysfonctionnement hippocampique — nous pouvons obtenir de bien meilleurs résultats. Cette approche de précision améliore non seulement les résultats, mais peut également réduire le coût des essais cliniques en se concentrant sur un groupe de patients plus petit et plus spécifique. 

De plus, nos critères diagnostiques pour des troubles comme le trouble dépressif majeur reposent sur des symptômes tels que l’anhédonie (manque de plaisir). Les recherches ont montré que la biologie sous-jacente de l’anhédonie est liée aux circuits de récompense dans le cerveau, qui peuvent être influencés par des facteurs immunitaires. En identifiant les patients présentant une anhédonie marquée et en offrant un traitement complémentaire ciblant spécifiquement la biologie liée aux troubles immunitaires, nous pouvons améliorer leurs symptômes plus efficacement. Cette approche peut également s’appliquer à d’autres troubles psychiatriques comme le trouble bipolaire et la schizophrénie, rendant les traitements plus précis et efficaces pour de nombreux troubles. 

Comment les collaborations internationales à long terme, notamment entre la France et le Royaume-Uni, peuvent-elles accélérer l’identification et la validation des biomarqueurs, tout en facilitant l’accès plus large à des outils de recherche coûteux ? 

La collaboration entre le Royaume-Uni et la France réunira l’expertise et les ressources de deux leaders mondiaux de la recherche en psychiatrie. Ce partenariat nous permettra de résoudre des problèmes plus rapidement et de partager les données plus efficacement. L’un des principaux avantages de cette collaboration est d’exploiter le potentiel d’un meilleur partage des données et de la science ouverte. En travaillant ensemble, nous pourrons développer des biomarqueurs et des traitements peu coûteux et accessibles qui profiteront à tous, et partout. La standardisation des méthodes de collecte des données — telles que la façon dont les échantillons de sang, de salive et numériques sont recueillis — garantira que les traitements et les marqueurs soient largement accessibles. 

En plus d’améliorer les résultats des recherches, cette collaboration offrira de précieuses opportunités de formation pour la prochaine génération de chercheurs et de professionnels de santé. En impliquant les autorités de régulation dès le début du processus, nous espérons garantir que la recherche que nous menons se traduira par des applications concrètes. L’objectif est de rendre les traitements accessibles à tous les patients, en mettant l’accent sur la précision et l’accessibilité. 

Comment les stratégies améliorées de traitement des maladies mentales peuvent-elles non seulement améliorer les résultats pour les patients, mais aussi aborder la stigmatisation et offrir des bénéfices sociaux plus larges ? 

L’un des plus grands défis en psychiatrie est la stigmatisation entourant les maladies mentales. Contrairement aux troubles physiques comme le diabète, les troubles psychiatriques portent souvent une forme de honte, ce qui amène de nombreuses personnes à éviter de chercher un traitement jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Cette stigmatisation peut conduire à l’exclusion sociale et à des difficultés d’accès au traitement, ce qui ne fait qu’aggraver les symptômes. Cependant, à mesure que nous développons de meilleurs traitements et que nous démontrons leur efficacité, nous pouvons aider à réduire la stigmatisation. Tout comme les avancées dans le traitement du VIH et du cancer ont aidé à réduire la stigmatisation de ces maladies, nous croyons que de meilleurs traitements pour les maladies mentales auront un effet similaire. 

De plus, les générations les plus jeunes sont plus ouvertes aux enjeux de santé mentale que les précédentes, et elles peuvent aider à changer les perceptions sociales à travers les réseaux sociaux et d’autres plateformes. En travaillant avec les jeunes générations, nous pouvons réduire la stigmatisation et accroître la sensibilisation aux bases biologiques des maladies mentales. À mesure que nous continuons à améliorer les traitements et à offrir des soins plus personnalisés, nous espérons créer une société où les maladies mentales seront considérées comme une pathologie, et non comme une source de honte. 

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